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She's a rainbow - The Rolling Stones.

Après un déjeuner composé de Corn Flakes et de yogourt – le frigo était vide –, j'avais rejoint l'hôpital. Je ne supportais plus de me trimballer avec l'âme perverse de Reg autour du cou, et je n'avais que trop longtemps délaissé mon travail.

Dans le hall, calme et silencieux à cette heure, le claquement de mes talons m'accompagnait à chaque pas, m'emplissant d'un sentiment de solitude familier. Depuis ma récente entrée au lycée, je n'avais plus eu à m'en soucier. Fréquenter Cassie c'était abdiquer la moindre parcelle de liberté ou d'intimité à une entité omnisciente – on n'était jamais seul.

Mais ici, dans ce lieu de mort, j'étais de nouveau face à moi-même. Je reprenais conscience de ma nature. Alors, le vernis de mon histoire craquela. Je finis par m'arracher du semi-conte de fées dans lequel je m'étais plongée et dont je m'évertuais à donner une parfaite interprétation. Au final, la seule personne que j'étais parvenue à duper, c'était moi. La réalité demeurait terrible, cruelle : je devais assassiner Petterson. Il n'avait pas d'importance à mes yeux mais... je le connaissais – un peu.

Et même si mes recherches s'avéraient fructueuses, cela changerait-il quelque chose à son sort ? Ou au mien ? L'un de nous était condamné.

Mon cœur, déjà en piteux état, s'alourdit un peu plus.

La situation revenait à choisir entre ma vie, et la sienne. Un choix loin d'être cornélien, au sens où j'avais toujours agi de manière égoïste, impitoyable – en garante de mes propres intérêts, comme dirait Clarke. Pour autant, ma nature individualiste ne m'exemptait pas de remords.

J'avais ôté la vie de tant de personnes, pour des motifs si futiles et illégitimes, qu'encore aujourd'hui, j'en payais le prix. Même deux siècles après, ce passé sanglant continuait d'embraser mon âme chaque fois qu'il se rappelait à moi.

Accablée, je tachai de ne pas me dénigrer davantage. J'étais différente à présent – j'avais changé. Je ne supprimais plus les personnes qui avaient le malheur de me déplaire ou l'audace de me tenir tête. J'en avais fini avec ce genre de dérapages. Exception faite de Reg, je ne me chargeais plus que des indécis. C'était le nom donné aux individus en balance entre le paradis et l'enfer : leurs actes ne permettaient pas de trancher.

Personne ne pouvait choisir son camp autrement que par ses actions. Le jugement dernier, comme certains l'appelait solennellement, n'en était qu'un bilan pondéré. Certaines, dont le meurtre, revêtait un caractère décisif : elles déterminaient de manière irrévocable la dernière demeure de l'âme, peu importe la raison du crime et le mal qu'avait pu ensuite se donner la personne pour se racheter.

Pas de seconde chance !

En cas de match nul entre les actions maléfiques et bienveillantes, les individus concernés rejoignaient la catégorie des indécis. Nous, les Morts, entrions alors en jeu et avions les pleins pouvoirs. Il nous suffisait d'interpréter la teinte dominante de l'aura d'un indécis, bordant son âme, pour savoir où était sa place. On assistait rarement à une égalité parfaite. Même si des actions contradictoires avaient engendré une sorte de bug dans le processus, un camp avait presque toujours l'avantage ; l'autre se contentait de résister.

Nous n'étions pas tenus de nous ranger du côté dominant. Possibilité nous était offerte de faire l'inverse, si on le jugeait nécessaire.

Ce système, parfait d'apparence, comportait tout de même des failles. Il arrivait parfois – trop souvent – que des indécis n'aient pas la chance de croiser une Mort. Leur âme errait alors pour l'éternité, perdue de l'autre côté du miroir.

Lips As Red As Hell [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant