45-

104 25 78
                                    

Somewhere Only We Know - Vitamin String Quartet

J'eus l'impression que mon cœur, jusque-là emballé, s'était soudain arrêté.

— Mais hier, tu as dit... balbutiai-je, déboussolée. C'est parce que tu as peur d'être viré ? Personne ne le saura, on pourrait très bien...

Il fit non de la tête. J'étais perdue.

— J'ai confiance en toi.

— Alors, j'ai mal compris ? Je me suis fait des idées ?

En dépit du mal que je me donnais pour garder une attitude digne, j'entendais ma voix monter un peu plus dans les aigus à mesure que ma gorge se serrait. Je me savais à deux doigts de pleurer, et j'en avais honte.

— Non ne dis pas ça, rejeta-t-il avec douceur. Je crois avoir été assez clair sur mes sentiments pour qu'on puisse exclure un délire de ta part. Simplement, tu avais raison.

— J'avais tort ! répliquai-je de but en blanc, sans faire preuve de beaucoup d'esprit.

Il attrapa ma main et me sourit d'un air triste.

— Non, ça ne serait pas juste envers toi. (Il soupira.) Je suis malade, Eléonore. Et même si tu n'avais pas été éprouvée par cet accident, tu es trop jeune pour traverser ce genre d'épreuve.

Intérieurement, je ris jaune. J'avais plus de dix fois son âge et un record de deuils à mon actif.

— J'ai dérapé, continua-t-il en s'excusant du regard. Quand tu as débarqué au lycée avec ton français impeccable dans tes valises, j'ai été très... (Il s'arrêta et se mit à fixer mes lèvres.) Enfin... ça m'a... bref. (Il releva le menton pour me regarder dans les yeux.) Je ne sais pas si c'est la tumeur qui a altéré mon jugement... en tout cas, avant que tu me le fasses remarquer hier, je n'avais pas réalisé ce qu'une telle situation impliquerait pour toi.

— Eh bien, moi, je suis parfaitement consciente de ce qu'elle implique. Et je l'accepte, arbitrai-je.

Il secoua la tête en me lançant un regard désapprobateur.

— Tu dis ça maintenant parce que tu n'es pas encore au pied du mur. Et si ma mémoire est bonne, il y a encore vingt-quatre heure, tu étais d'un tout autre avis.

Je rejetai la tête en arrière et soufflai de frustration. Je ne pouvais le contredire à ce niveau...

— Tu as déjà lu le Petit Prince de Saint-Exupéry ? me demanda-t-il en caressant ma main avec son pouce pour attirer mon attention.

Même si j'étais consciente qu'il allait essayer de m'embobiner en me noyant dans la mer de ses iris, je lui donnai satisfaction et me retournai vers lui.

— Bien sûr...

Je l'avais lu à de multiples reprises. Plusieurs décennies s'étaient toutefois écoulées depuis la dernière fois, du coup, je ne me souvenais que des grandes lignes. Si je me rappelais bien, ça parlait d'un prince venu d'une lointaine planète, d'un aviateur planté au milieu du Sahara à cause d'une panne et de tout un tas d'autres personnages.

— Disons que je suis le renard et que tu es le Petit Prince. Enfin... la Petite Princesse. Tu as l'âge de l'être encore. La logique du conte voudrait que ça soit moi le Petit Prince et toi le renard, mais ça semble mieux dans l'autre sens.

— Alors c'est à cause de mon âge ?

— Ça n'a rien à voir, balaya-t-il.

En me concentrant, des bribes de l'histoire refirent surface même si les détails m'échappaient encore. D'après mes souvenirs, le Petit Prince et le renard avaient fini par devenir amis. Seul hic, le renard n'avait pas pu suivre ce foutu gamin sur sa foutue planète. Les raisons étaient floues mais si ma mémoire ne me jouait pas de tour, il était question de nourriture. Ce foutu canidé n'aurait semble-t-il rien trouvé à se mettre sous la dent là-bas... Bref. Je ne voyais pas le rapport avec nous.

Lips As Red As Hell [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant