Épilogue

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Garbarek, Morales: Parce Mihi Domine · Jan Garbarek · The Hilliard Ensemble

CAMERON

Je longeais les couloirs sordides de l'hôpital.

Des cris.

Des pleurs.

Toutes les portes menaient vers un petit bout d'enfer. Je n'avais même pas envie de sourire devant l'ironie de la situation. Je me contentais de suivre l'infirmière, tête baissée.

La lumière du jour ne filtrait pas ici. Seuls les néons éclairaient cette cave où l'on avait abandonné ces rebuts de la société. La savoir ici, prisonnière de ces murs couverts de moisissures, m'insupportait.

Qu'avais-je fait en les envoyant en France ? En les éloignant de moi ? J'avais commis une terrible erreur et c'était eux qui en avaient payé les conséquences. Comment pourrait-elle me pardonner ?

Ma guide finit par s'arrêter devant une porte blanche capitonnée. Seule une minuscule ouverture vitrée, incrustée à hauteur d'homme, permettait de voir de l'autre côté.

— C'est ici.

— Ouvrez la porte.

— Nous l'avons placée en isolement. Vous ne pouvez pas lui parler pour l'instant. Ça risquerait de la perturber davantage.

— Comment ça, davantage ?

L'infirmière me gratifia d'une moue affligée.

— Elle souffre de lourds troubles psychiatriques. Nous ne pouvons pas prendre le risque de...

— Elle n'est pas folle, coupai-je sèchement. Elle vient de vivre un drame épouvantable.

La bonne femme soupira longuement, comme lasse d'avoir à répéter un discours qu'elle aurait prononcé à de trop nombreuses reprises.

— Vous ne comprenez pas, commença-t-elle avec indulgence. Ce n'est pas un syndrome de stress post traumatique. Au regard de l'état de sa pathologie, on peut supposer qu'elle n'a jamais été traitée, ni même diagnostiquée. Les mécanismes et scénarios de sa psychose sont lourdement ancrés en elle. A tel point qu'il lui est de plus en plus difficile d'établir un lien avec la réalité.

Mes poings se refermèrent le long de mon corps.

— Raison de plus pour la sortir de là, et de l'y confronter.

— Le psychiatre qui suit Nelly a été très clair. Elle n'est pas prête.

— Je me fiche bien de ce qu'a dit le psychiatre.

L'infirmière émit un hoquet offusqué en rajustant maladroitement ses lunettes.

— Je vous demande pardon ?

Une colère froide me gagnait. J'avançai vers elle jusqu'à franchir la limite minimale qu'ordonnait la bienséance. Elle eut un sursaut. Elle chercha à reculer mais je la clouai sur place d'un regard acéré.

— Dites-moi ce qu'elle a. Tout de suite.

— Elle... elle souffre d'une pathologie que l'on appelle trouble de la personnalité multiple, expliqua-t-elle à toute vitesse. Elle est elle-même à un certain moment, et l'instant d'après, elle est devenue Jeanne, Olivia ou Reg. Ces personnalités sont extrêmement bien construites et il y en a un tel nombre, que nos psychiatres doutent que...

Elle hésita une seconde comme si elle craignait ma réaction, ce qui était sûrement le cas. Même si je ne l'avais pas menacé verbalement, mon langage corporel était on ne peut plus clair. Je me tenais si près que je lui marchais quasiment dessus, et la main que j'avais posé sur son épaule était trop ferme pour paraître amicale.

— Et de quoi vos illustres psychiatres doutent-ils ?

Mes doigts se refermèrent machinalement sur ses os et je la vis grimacer. Je la lâchai alors. Elle n'osa pas bouger.

— Ils doutent que Nelly puisse un jour retrouver le chemin d'une vie normale.

— Eh bien, ce n'est plus votre problème ni celui de vos psychiatres. Je vais la faire transférer aux Etats-Unis. Elle recevra là-bas tous les soins nécessaires à son rétablissement.

L'infirmière me lança un drôle de regard. Ça ressemblait à de la peur mélangée à de la pitié, je crois.

— Au trouble dont je viens de vous parler, il faut ajouter des délires schizophréniques, une idéation persécutoire ainsi qu'une paraphrénie fantastique. Je comprends que ça soit dur à accepter, mais les meilleurs soins au monde ne feront pas de miracle.

— Para-quoi ? m'écriai-je.

— Paraphrénie fantastique, répéta-t-elle prudemment. Elle se sent persécutée par une puissance mystique : Dieu, en l'occurrence. Elle se prend même pour un... ange de la mort. Et quand elle évoque son petit-ami décédé qu'elle fantasme comme le fils du diable, elle entre en crise. C'est le déclencheur. Nelly ne parvient pas à faire face. Quand c'est trop dur, elle préfère se réfugier dans la peau de quelqu'un d'autre.

Je fronçai les sourcils et fis un pas en arrière. Pourquoi ne l'avais-je pas mise en garde en enfer ? Elle avait mentionné avoir vu ses victimes et je n'avais pas réagi. Je n'avais pas imaginé que...

Abasourdi, je lâchai l'infirmière du regard et plaquai mon nez contre la vitre.

Eléonore était là, si proche et pourtant si loin. Assise dans le coin de sa chambre capitonnée, elle ne semblait plus vraiment présente. Son regard vide errait dans la pièce comme une âme en peine, tandis que ses mains s'occupaient à griffer la peau de son cou.

Les médicaments dont ils la gavaient l'avaient littéralement transformée – ses joues étaient creusées, ses bras amaigris et son teint grisâtre.

La Mort n'était plus que l'ombre d'elle-même.

Lips As Red As Hell [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant