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Work - Charlotte Day Wilson

Lorsque l'avion se posa à San Francisco, plusieurs heures après, j'étais bel et bien redescendue de mon petit nuage. Tête baissée, je filai aux arrivées et passai mon chemin sans prêter attention à la foule massée derrière les portiques. À la différence d'autres voyageurs, je n'avais plus de famille. J'excluais donc les ballons multicolores ainsi que les jolies pancartes décorées de cœurs.

J'étais à nouveau seule, comme avant. Et rien ne disait que je reverrais Cameron un jour. Si Clarke décidait de faire de moi sa marionnette attitrée, il ne verrait pas d'un bon œil que je fricote avec le diable... Pas plus dans l'immédiat qu'à l'avenir. Restait à espérer que cette mission serait un one shot, sans épilogue.

Compte là-dessus...

Dans le taxi qui me ramenait chez moi, je m'efforçai de mettre de côté ce que j'avais vécu à New York : Clarke, la mission qu'il m'avait confiée et Cameron. Ce ne fut pas si difficile. Depuis longtemps, j'étais habituée à compartimenter ma mémoire et sceller des souvenirs. J'enfouissais les plus sombres et douloureux d'entre eux aussi profondément que j'en étais capable, et j'espérais qu'avec le temps – j'en avais à revendre – j'oublierais. J'étais forcée de procéder ainsi car je n'arrivais pas à réguler les émotions qu'ils soulevaient. Les refouler était le seul moyen efficace que j'avais trouvé pour ne pas les laisser me déborder. M'engloutir.

De ce côté du pays, à des milliers de kilomètres de Dieu et Lucifer, la journée qui venait de s'écouler avait la consistance d'un rêve, vague et lointaine. La distance aidant, je n'eus pas de mal à faire abstractions des événements de ces dernières vingt-quatre heures.

Je passai le reste de la journée à faire des courses et ranger l'appartement, des tâches qui m'occupèrent l'esprit. Mais le cerveau humain est un organe complexe. Et les pensées que je croyais avoir réussi à éloigner refirent surface à la nuit tombée. Lorsque je posai enfin ma tête sur l'oreiller, espérant trouver dans le sommeil un refuge et du repos, je n'y rencontrai que le reflet obscur de mon esprit.

Je foulais la terre humide d'un cimetière... pieds nus... Je courrais... vite... de plus en plus vite mais... Gabriel me rattrapait. Je l'entendais se rapprocher. Je regardais en arrière et voyais ses deux magnifiques ailes blanches battre dans le ciel sombre. Puis... j'étais ailleurs...

Je ne courrais plus. Je me tenais au bord d'un trou – d'une tombe. Les yeux bleu saphir de Gabriel irradiaient de fureur. Il pointait un trident sur ma gorge. Je reculais et tombais... tombais... tombais... avant d'atterrir doucement sur quelque chose de moelleux, comme sur un lit. Cameron apparaissait accroupi au bord de la fosse. Mais ce n'était pas Cameron. Pas celui que je connaissais. Il avait un rire métallique, inhumain. Une bouche cruelle. Satan... il disait des choses dont le sens m'échappait. Je lui demandais de répéter, mais il riait plus fort et le cercueil se refermait.

Je commençais à manquer d'air... J'étouffais... Dans un craquement d'allumette, une flamme s'allumait. J'entendais une voix près de mon oreille. Je tournais la tête et découvrais... Reg Jackman... la bouche pleine d'asticots... et...

Quelqu'un cria, déchirant les ténèbres.

Je m'éveillai en sursaut. J'allumai ma lampe de chevet et passai une main sur ma poitrine. Mon cœur battait à tout rompre. Mes cheveux étaient trempés de sueur, et mes joues, maculées de larmes. Il me fallut plusieurs dizaines de secondes pour que mes idées se remettent en place.

Je jurai, soudain en pétard contre mon subconscient torturé. Comment pouvait-il créer de pareils cauchemars ? Comment parvenait-il à mettre en scène des créatures bibliques qui n'avaient aucune existence réelle ? Ça se saurait si des hommes se baladaient dans la rue avec des ailes collées dans le dos...

Lips As Red As Hell [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant