« [𝓣𝓸𝓶𝒆 𝟐 𝓢𝓝𝓚] ℒ𝒆𝓼 𝓐𝓲𝓵𝒆𝓼 𝓭𝒆 𝓵𝓪 ℒ𝓲𝓫𝒆𝓻𝓽𝒆́ »

Chapitre 54 : Agathe et Irina

*24 juin 850*

J'avais su à ce moment-là qu'après mon dernier passage à l'Infirmerie Médicale, deux jours plus tôt, mon frère s'était de suite attelé à ma demande. En très peu de temps il avait retrouvé un vieil homme qui habitait autrefois près de la maison d'enfance de ma mère, à Yorkshire, Monsieur Salomone, en tombant par hasard sur lui près d'un stand. Les habitants du village lui avaient dit, à l'époque où il se cachait de Vassago avec notre sœur et Navin, que certains manquaient à l'appel car montés à Trost le 8 mai 845 - le jour de la chute du Mur Maria. Et de fil en aiguille, dix autres villageois avaient été retrouvés dans deux baraquements que l'on avait trouvés pour eux, en attendant la reconquête du Mur Maria.

Dont Agathe Ackerman, Irina Reiss et leurs fils respectifs, Daegan Ackerman et Kolya Reiss.

Annelies était justement aux côtés de Viktor lors des retrouvailles avec les onze villageois de Yorkshire. Inutile de dire que ça avait été une sacrée surprise pour eux en voyant mon frère et ma sœur entrer dans la salle où ils avaient été réunis. Comme le premier ressemblait à notre père, et la seconde, à notre mère, ce n'était pas difficile de les reconnaître. Le fait d'avoir poussé comme des courges ces cinq dernières années, en revanche, avait dû en foutre un coup.

Et pour moi aussi, ça leur en foutrait un coup s'ils me voyaient.

Mais est-ce que je méritais de prendre de leurs nouvelles ?

Pendant cinq longues années, cinq putain d'années perdues où je me battais contre le stress post-traumatique, les cauchemars nocturnes, la culpabilité, « mes démons intérieurs », je ne m'étais pas inquiétée pour leur sort. Je ne m'étais même pas demandé s'ils avaient tout laissé derrière eux pour rejoindre le Mur Rose, ou s'ils étaient restés à Yorkshire par respect pour mon clan. J'étais vraiment horrible, je ne méritais pas de pardon de leur part.

Comment pourrais-je mériter cela, alors que je n'avais pas songé à eux en cinq ans ?

C'étaient les paroles que j'avais dit à Loretta, à la fin de ses explications. Pourtant elle ne m'avait pas accablé de reproches. Ça ne lui serait jamais venu à l'esprit de faire une telle chose, et elle savait plus que quiconque à quel point ma souffrance avait été immense ces dernières années.

Loretta ne m'en voulait pas.

Au lieu de ça, elle assura que mon frère avait lui-même expliqué aux onze villageois de Yorkshire les événements tombés sur nous trois, de la chute du Mur Maria à aujourd'hui, et pourquoi je n'avais pas pris de leurs nouvelles. Il s'avérait en plus qu'ils venaient quelques fois à l'Infirmerie Médicale Indépendante, leurs logements de fortune se trouvant à côté. Et comme Loretta nous connaissait et savait pour les Métamorphomages, Irina Reiss, Agathe Ackerman et les villageois lui avaient aussitôt demandé des nouvelles ; ils n'avaient aucune nouvelle du reste de la population de Yorkshire, et ils ignoraient le sort de ma fratrie. Alors, elle leur avait confié le peu qu'elle savait à l'époque, l'enlèvement de Viktor et Annelies, la mort de Théa, et le stress post-traumatique dont je souffrais. Elle avait pris la décision de me le cacher pour ne pas que je me le reproche. Leur donner des nouvelles sur moi durait depuis 846.

Ça m'avait surprise que Loretta me l'ait caché aussi longtemps. Elle qui, pourtant, n'aimait pas cacher des choses aux autres, elle avait gardé le secret et tenu pendant cinq ans, avec comme motif de me préserver. De ne pas en rajouter une couche sur ce que je traversais.

Étrangement je n'arrivais pas à éprouver la moindre colère. Comment le pourrais-je ? Parce qu'elle savait ce qui arriverait, elle m'avait protégé en cachant ces informations - tout comme je lui avais caché que je menais une enquête discrète sur Vassago ; ou quand Viktor, sans nous contacter, s'était caché de ce dernier durant quatre ans (avec Annelies et Navin). Chacun avait une façon de protéger l'autre, lors de souffrances psychologiques.