Chapitre 186 : Les anges d'avant

153 32 2
                                    

 — Vu comme vous me regardez avec insistance, j'en déduis que je suis la clé dont vous parlez, s'avança Syara. Moi ou mon violon. Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

— Vous l'expliquer pourrait s'avérer un peu long, prévint-il.

— S'il faut en passer par là pour sauver notre amie et éviter une invasion de notre monde, surtout que l'on sait à présent que le roi est capable de subjuguer les personnes autour de lui... Allez-y.

— Très bien. Pour expliquer en quoi vous et votre violon pouvez être la clé, il nous faut remonter dans le passé. Loin, bien loin, à une époque que seule une petite poignée de personnes ont pu connaître. Poignée qui s'est malheureusement réduite encore hier. À cette époque, le roi n'était encore que prince et ce monde était bien différents. Les anges étaient respectés par les êtres d'en bas. Respectés et non craints. C'était une relation symbiotique comme le baron Voklan recherchait. En cela, il ne se montrait pas innovant, mais plutôt conservateur d'une époque depuis longtemps révolue. Le monde était en paix, les anges étaient les défenseurs du monde et apportaient leurs de nombreux bienfaits grâce à leur magie. En contrepartie, les habitants des terres d'en dessous nous fournissaient tout ce dont nous avions besoin pour nous développer sur les terres célestes.

— Ce mode de fonctionnement ressemble un peu aux halls des musiciens de notre monde, réfléchit Orélius. Même si, dans notre cas, nous vivons avec les personnes dénuées de magie et non à part.

— Et que tous les mages sont loin d'être respectables ou au contraire respectés alors qu'ils le devraient, ajouta Syara.

— Vous dites que vous apportiez des bienfaits grâce à la magie, donc vous gardiez tout de même pour vous le rituel permettant d'obtenir une arme, réfléchit Phi. Pourquoi ?

— Parce que s'il était inoffensif pour nous autres, il s'avérait dangereusement mortel pour les autres espèces. À cette époque, certains idéaux se battaient déjà concernant cette question. Les premiers refusaient de transmettre le rituel car avaient peur que les anges finissent par devenir inutiles, brisants ainsi la symbiose. D'autres étaient du même avis, non par peur d'être remplacé, mais par crainte de l'hécatombe que cela pouvait causer. Enfin, les derniers étaient pour partager ce savoir, mais ne le faisaient qu'avec parcimonie afin d'éviter les craintes du second groupe.

— Si notre monde était en paix, la nécessité d'avoir des combattants ne devait pas être bien importante non plus, commenta Élane. Je comprends la position des trois camps et si je pense que je ne ferai pas partie de la première, mon cœur balancerai entre la seconde et la troisième.

— Tout comme ton père à cette époque.

Si le commentaire du maître de la tour étonna Élane, comme s'il avait réellement connu le baron à cette époque alors que ce devait être grâce à son pouvoir qu'il savait tant de chose, Syara était restée sur une information dite un peu plus tôt. La cérémonie était dangereusement mortelle pour les non-anges. Qu'en était-il alors des demis-anges ? Sa sœur avait-elle finalement risqué sa vie lorsqu'elle avait modelé sa rapière d'obsidienne ?

S'il était de toute façon trop tard et que cela s'était heureusement bien terminé pour elle, la beast était tout de même curieuse de le savoir, mais ne voulait pas non plus compliquer les explications du vieil homme en le faisant partir sur un autre sujet. L'essentiel restait de savoir en quoi elle et son violon pouvaient vaincre le roi.

— Le monde était donc en paix et, plutôt que de se complaire dans une certaine supériorité et un sentiment de toute puissance, les anges cherchaient constamment à s'améliorer et à repousser les limites de ce qu'ils pouvaient accomplir. Cela se traduisait par une discipline martial qu'ils mettaient à l'épreuve dès qu'une puissante créature menaçait ceux qu'ils protégeaient ou bien par des recherches sur la magie. Ces recherches leur permirent un beau jour d'ouvrir un étrange passage. Il ne menait pas, comme les autres déjà créés, à d'autres territoires de notre monde, mais à un autre, bien différent. Là bas, il n'existait aucune île céleste, mais les terres étaient bien plus grandes, comme si les îles de ce monde s'étaient agglomérées en de plus grandes étendues.

— Quel étrange agencement, se dit Élane.

— Ça peut te paraître étrange, mais ce qu'il décrit est similaire à ce que nous nous connaissons, lui dit Orélius. Pour nous, voir des régions entières voler on ne sait comment est ce qui est étrange.

C'est vrai, les anges avaient pu arriver sur leur monde. Mais quelque chose disait à Syara que ça n'était pas le cas. Lorsque Fos lui avait raconté l'histoire de Cristal et des elfes, il lui avait dit qu'ils ne respectaient et ne considéraient comme leurs égaux que des êtres venus d'un autre monde, à l'apparence humaine et dotée de grandes ailes de plumes blanches. Ce dont parlait le vieil homme était sans aucun doute l'événement qui avait mené à leur rencontre. Ainsi, elle devinait la suite, même si la fin et son rôle dans tout cela restait encore à déterminer.

— Sur ce monde à l'apparence prospère, différentes espèces intelligentes y vivaient. Si certaines pouvaient user de puissants pouvoirs à la manière de votre amie capturée qui doit être la descendante du peuple que j'ai en tête, une espèce en particulier maniait la magie d'une manière tout à fait poétique. Elle usait d'instruments de musique pour la faire jaillir. Leur utilisation de cette dernière était cependant bien plus centrée sur eux-mêmes. Ironique n'est-ce pas ? Ceux dont l'âme prenait la forme d'une arme, un objet fait pour blesser, agissaient en communion avec les autres tandis que ceux maniant un instrument de musique, fait pour le partage, s'en servaient pour soumettre les autres espèces.

— Attendez, comment pouvez-vous savoir tout ceci alors que le champ d'action de votre pouvoir se limite à ce monde ? Tout ce que vous dites en concerne un autre à ce que je sache ! S'exclama Elyazra.

Enfin ! Sauta intérieurement de joie Syara. Enfin sa sœur posait une question tout à fait pertinente et censée ! Si les réponses pouvaient être nombreuses, il pouvait par exemple se référer à des rapports que les explorateurs de cet autre monde auraient faits à leur retour, la beast était tout de même curieuse d'avoir sa véritable justification.

Si, jusque-là, le maître de la tour avait répondu à toutes leurs questions, il se contenta cette fois-ci de rester silencieux, un sourire en coin se devinant sous sa longue barbe. Il leur cachait quelque chose ou, du moins, ne voulait pas le révéler tout de suite, se dit immédiatement la violoniste.  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant