Chapitre 188 : La corruption des anges

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 — Grâce à ses pouvoirs de persuasion, le prince réussit à convaincre son peuple non pas d'abandonner le passage vers l'autre monde, ni de libérer les races opprimées, mais plutôt de nouer des relations cordiales avec les elfes. À cet instant, seul le roi se demandait comment tout le monde avait si soudainement changé d'idée et pourquoi son fils, pourtant posé et réfléchi, défendait une telle idée sans même avoir pris le temps d'entendre la version des races persécutées.

— Vous dites pourtant qu'il fallait qu'il parle souvent pour que la persuasion soit efficace, mais que cela a été très vite ici, commenta Orélius en fronçant les sourcils face à cette incohérence.

— Même sans ses pouvoirs, il restait très persuasif et avait déjà une grande influence auprès de son peuple. Certains se sont immédiatement rangé de son côté et l'auraient fait qu'importe son verdict, les autres avaient soit assisté à trop de longs débats qui étaient nombreux pendant cette période et étaient tombés sous son joug ou bien se disaient qu'il serait toujours temps de faire marche arrière si les fameuses relations cordiales ne menaient à rien de bénéfique.

— Et ils y ont trouvé leur compte, souffla Syara.

— Pendant les premières visites des anges, il semble que les elfes avaient fait en sorte de cacher au mieux les maltraitances qu'ils faisaient subir aux autres et que leurs visiteurs auraient trouvé révoltant. Tous ceux qui revenaient de ce monde étaient enthousiasmés par leur culture si raffinée et ramenaient des étoffes, des bijoux, des meubles tous plus somptueux les uns que les autres. Tout le monde avait au moins un objet elfique chez lui. Deux-cents ans s'écoulèrent alors. Le temps de nombreuses générations pour les opprimés et les êtres protégés de notre monde, mais un simple instant aussi fugace qu'un claquement de doigts pour les deux races immortelles.

— Et les elfes ne venaient jamais de ce côté-ci ? Questionna Phi.

— Ils se faisaient rares et ne quittaient jamais la proximité du portail. L'intérêt pour la culture de l'autre semblait être à sens unique. Pendant ces deux cents ans, ils n'importèrent malheureusement pas que des biens matériels. Petit à petit, les elfes avaient arrêté de cacher les traitements qu'ils faisaient subir aux autres races et affirmaient ouvertement qu'ils leur étaient supérieurs. Pour les anges qui les visitaient, voir un non-elfe se faire maltraiter était devenu quelque chose de parfaitement normal et admis... Là encore, seule une poignée ne comprenait pas comment leurs congénères pouvaient trouver ça normal.

— Et ces mêmes congénères ont fait bien pire, ils se sont mis à traiter les races d'en bas de la même manière, crut deviner Syara.

— Passer de protecteur à oppresseur ne s'est pas fait comme ça. Il y a eu un élément déclencheur. Pendant que les anges n'avaient d'yeux que pour les elfes, ils délaissèrent leurs devoirs. Les peuples d'en bas ne les voyaient presque plus descendre. Les attaques de créatures dangereuses se faisaient de plus en plus fréquentes, les blessés et les malades ne pouvaient plus êtres soigné avec autant de facilité et de rapidité, les bonnes récoltes n'étaient plus assurées par la magie qui palliait à certains problèmes que les paysans pouvaient rencontrer. Et pourtant, de rares anges continuaient à descendre, non pas pour aider, mais pour réclamer leur dû. Demander la part des récoltes et des matières premières qui leur était réservé en contrepartie de leur aide. Comme vous pouvez le deviner, cela a d'abord mené les autres peuples à leur demander des comptes, puis à se révolter. Le roi tenta bien de calmer les choses, de parlementer avec ceux qui se rebellaient et de convaincre son peuple de retourner accomplir leur devoir, mais ils ne l'écoutaient plus et refusèrent, enterrant de par leur égoïsme toute chance de négocier un retour au calme.

— Ce qui est parfaitement compréhensible, affirma Élane. Même aujourd'hui, dans les terres d'en bas contrôlées par les seigneurs les plus odieux, ils ont au moins le droit à la sécurité face aux bêtes sauvages.

— Lorsqu'un percepteur se présenta devant une foule en colère qui refusait de livrer le moindre sac de grain, celui-ci s'énerva et finit par blesser de son arme celui qui lui tenait tête le plus ouvertement. Cet ange-ci ne remonta jamais sur les terres célestes, tué par la foule qui avait réussi à le clouer à terre. Cet événement, qui aurait dû être le signal d'alarme pour que les anges sortent de leur léthargie et repartent faire leur devoir pour calmer les choses eut l'effet contraire. Galvanisé par les discours du prince qui utilisa cette histoire en la détournant pour la faire passer pour un lynchage gratuit, il convainquit que, comme les elfes, eux étaient le peuple élu de ce monde et, comme les autres races opprimées de l'autre côté, ceux qui vivaient en bas devaient apprendre qui étaient les maîtres et où étaient leur place. Le roi, seule personne immunisée au pouvoir de son fils, fut absolument horrifié en assistant à ce discours, autant par les paroles du prince que par la foule qui, galvanisée, était presque prête à descendre immédiatement, non pas pour accomplir leur devoir, mais pour châtier ceux qu'ils considéraient à présent comme des êtres inférieurs.

— C'est horrible ! S'exclama Phi.

— Et le roi a laissé faire ? S'étonna Elyazra. Après tout, il s'agit du roi, il pouvait très bien empêcher cela !

— à la suite de ce discours de haine, le roi confronta le prince dans leur palais. Pendant cette discussion, il avoua ne pas reconnaître son fils et le prévint qu'il devrait calmer le peuple s'il ne voulait pas voir sa couronne et ses titres lui échapper en même temps que sa liberté. Face à cela, le prince ne fit que rire. Et il avait raison de rire. Après tout, qui était le véritable dirigeant ? Celui qui portait la couronne ou celui qui était suivi par la presque intégralité de son peuple ? Tous deux appelèrent la garde en même temps et donnèrent le même ordre. Enfermer l'autre. Les gardes accoururent et encerclèrent le roi, signant ainsi la fin de son règne. Celui-ci fut conduit sur une île céleste déserte, dans une tour qui semblait avoir été construite spécialement pour lui, comme si tout ceci avait été prévu de longue date. Une tour dont il ne pouvait pas sortir et où chaque personne qui tenterait de s'y approcher se ferait projeter avec une violence telle qu'elle la tuerait sur le coup. Une tour qui perdit de ses pouvoirs avec le temps, forçant uniquement ceux qui voulaient l'approcher à marcher pour l'atteindre. Une tour qui fut oubliée, puis redécouverte pour finalement devenir l'objet d'un conte pour enfant.  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant