Chapitre 63

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Éloïse


Je fixai le trait hésitant qui naissait sous mes doigts, le crayon effleurant à peine la surface du papier. Une esquisse commençait à prendre forme - ou plutôt une silhouette floue, une ombre informe.

C'était tout ce que j'arrivais à produire ces jours-ci : des visages brouillés, des corps sans contours précis, des fragments évanescents, insaisissables. À l'image de ce que je ressentais.

Mes paupières me brûlaient, lourdes d'un sommeil sans repos, mais je n'avais pas la force de cligner des yeux, encore moins de lâcher ce dessin qui se dérobait entre mes mains comme une bouée dérisoire.

Parfois, je ne savais plus si j'étais encore éveillée ou si tout cela n'était qu'un cauchemar délavé, sans fin. Les jours glissaient comme un courant d'eau, toujours identiques et ternes. La nuit tombait, le matin arrivait, mais cela ne changeait rien à ma triste vie.

Je ne sortais plus, ou presque ; j'avais arrêté d'aller en cours. La nourriture, je ne la goûtais plus, et parfois je me contentais de passer la journée sans rien avaler.

Au fond, je me demandais si j'étais en train de disparaître, de me fondre dans cet univers vide que je m'étais construit. Peut-être que ce n'était pas un cauchemar après tout, mais juste... une fin lente, sans heurts. Je me contentais de m'effacer, de m'évaporer dans l'atmosphère de ce monde qui ne m'avait apporté que malheur.

Les rares fois où je quittais l'appartement, c'était pour aller à des club BDSM et m'égarer dans des bras inconnus, cherchant une chaleur factice qui pourrait combler ce gouffre qui me rongeait. Mais chaque coup éphémère ne faisait qu'ouvrir davantage la plaie.

Peut-être que c'était ce que je méritais. Peut-être que c'était ce que je valais désormais. Je vendais mon corps, mais pas contre de l'argent, mais contre une distraction. Je me trouvais souvent à penser que, finalement, il n'y avait plus rien à sauver chez moi.

La porte du salon grinça doucement derrière moi, mais je ne bougeai pas. J'entendis des pas légers, puis une voix masculine :

— Salut, Éloïse...

Un soupir las m'échappa, et mes épaules se raidirent. Lola venait de sortir faire quelques courses et avait demandé à son petit ami de me tenir compagnie, comme on surveillerait un malade ou un enfant dont on ne peut se séparer.

Elle m'avait avoué qu'elle ne supportait plus l'idée de me savoir seule, surtout depuis qu'elle avait découvert que je me mutilais à nouveau.

— Ça va ? demanda-t-il d'une voix ridiculement douce, empreinte d'une gentillesse forcée.

Je ne répondis pas. À quoi bon ? Il connaissait très bien ma réponse, et je n'avais aucune envie de me justifier. Mes yeux restaient rivés sur le croquis ; sur cette ombre inachevée.

Je voulais lui dire de partir, de cesser de jouer les baby-sitters, mais même cela me semblait être une montagne infranchissable. Il attendit un instant, puis poursuivit, plus lentement :

— Tu sais... je ne dis pas ça pour te blesser, mais... Lola n'a plus de vie, là. Elle s'inquiète tout le temps pour toi.

Je sentis quelque chose s'effriter en moi, ses mots avaient touché une fissure déjà bien entamée ; la culpabilité s'insinuait doucement. Il observait ma réaction, puis ajouta :

— Elle passe tout son temps à essayer de te sortir de cette dépression, et chaque jour, tu lui compliques encore plus la tâche.

Une lueur de colère passa dans mes yeux, mais je me renfermai aussitôt. Tyler, le geek au visage fin et pâle, se leva, faisant quelques pas nerveux autour de la pièce, la main dans ses cheveux châtain ébouriffés par manque de soin, comme un animal en cage.

Catharsis [Spin-off]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant