Prologue

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Je dus mentir à mes parents lorsqu'ils me saluèrent.

- Ça va aller, Anaëlle ? me demanda maman, d'une voie chaleureuse, en passant sa main sur mon épaule.

Bien que tout mon entourage avait adopté le diminutif d'Ana depuis aussi longtemps que je m'en souvenais, mes parents s'évertuaient à m'appeler Anaëlle, malgré mes supplications. Ce n'était pas que je le trouvais particulièrement laid, j'aurais pu plus mal tombé, je l'aimerais même sûrement plus tard, à l'âge adulte, mais je le trouvais un peu trop... Je ne savais comment le qualifier, juste trop.

- Tu sais, Anaëlle est un joli prénom, ne cessait de souligner ma mère en voyant mon regard se durcir à chaque fois que je l'entendais le prononcer. Il veut dire...

- ... "Grâce" en hébreu, lui coupai-je en réponse. Je sais maman.

J'avais eu beau insister pour qu'ils se convertissent au Ana, prétextant mon équilibre psychologique, mon intégration dans la société... Ce fut peine perdue; ils n'avaient pas céder. Moi si. Néanmoins, il y avait un côté pratique: quand j'entendais le prénom Anaëlle, j'étais assurée qu'il s'agissait de mes parents ou alors de vagues connaissances, qui n'avaient pas encore été briefées sur mon diminutif.

- Ça va aller, Maman, repris-je. J'ai enfin MON chez moi ! feignis-je l'enthousiasme, un large sourire aux lèvres, les bras grand ouverts. La vie s'ouvre devant moi!!!

Ma mère me renvoya un sourire pour seule réponse, un sourire qui voulait partager cet enthousiasme mais dépeignait au final plus une inquiétude. Maman, petite femme brune aux cheveux courts, faisait toujours preuve de bienveillance. Elle n'était pas du genre à se mettre en avant, ce que confirmaient ses robes résolument très sobres et malheureusement sans aucun charme. Son sourire, bien que timide, irradiait de sincérité.

Mon père était déjà installé au volant de notre vieille Volvo break, qui nous avait été bien utile pour le déménagement. Il n'était pas un grand démonstratif. Il n'avait jamais appris à faire part de ses émotions et encore moins de ses sentiments. Pour un quadragénaire, sa chevelure était encore bien garnie et source de vantardise. Son physique fatigué et ses cals aux mains trahissaient un travail manuel quotidien harassant. Sous ses airs bourrus, il n'en était pas moins un homme que le départ de sa fille unique affectait profondément. Au risque de se laisser envahir par une vague d'émotions, il avait préféré se réfugier dans l'habitacle et ainsi éviter de croiser mon regard. Il m'avait auparavant déposé un rapide baiser, non dénué de tendresse, sur la joue. Le moteur tournait déjà. Il ne souhaitait pas s'appesantir sur des embrassades à n'en plus finir. " C'est pas comme si elle partait à l'autre bout du monde, elle ne sera qu'à 4 heures de route" semblait-il dire en regardant maman avec empressement. Il y avait bien une chose qu'il détestait plus que les effusions sentimentales, c'était d'attendre.

Mon cousin, Jonas, qui était venu prêté main forte pour le déménagement, perçut l'exaspération grandissante de mon père et voulut conclure les au revoir. D'une main délicate, il effleura le coude de maman et la dirigea subtilement vers le côté passager où elle s'installa.

- Au revoir, Anaëlle, me dit-elle. Tu fais bien attention à toi.

- Je n'ai rien à craindre maman. Tout va bien se passer. Je rentre juste à la fac, la rassurai-je en refermant sa portière.

Mon coeur se serra. Au final, je n'en savais strictement rien. Je tentais également de m'accrocher à ces mots "Tout va bien se passer" et de me raisonner. Je rentrai juste à la fac. Comme des milliers d'autres étudiants dans des dizaines d'autres grandes villes. Que pouvait-il m'arriver? Cette question, je ne me l'étais pas souvent posée et j'aurais sûrement dû le faire à certains moments de ma vie. Peut-être que beaucoup de choses auraient été différentes. Peut-être que rien de tout ça ne serait arrivé. Je chassai aussitôt les pensées qui m'assaillaient d'un clignement de paupières.

Me voyant m'enfermer dans mon silence et mes pensées, Jonas me pris dans ses bras. Jonas et ses grands bras musclés de nageur qui faisaient succomber bon nombre de demoiselles en fleur, et qui quand ils m'encerclaient me faisaient oublier comme la vie pouvait être dure à certains moments. Comment allais-je faire sans ces bras qui m'avaient tant consolée? En desserrant son étreinte, il fixa mon regard intensément et ajouta:

- Et Ana, t'appelles, si t'as besoin, t'hésites pas. S'il y a le moindre problème, t'appelles. Je ne suis qu'à une heure de route d'ici... Okay ?

J'obtempérai de la tête, en lui souriant timidement. J'étais toujours touchée par sa sollicitude. C'était vraiment quelqu'un de bien, un chouette cousin. Celui de tous les mauvais tours. Celui avec qui je jouais chez mes grands-parents lorsque nos parents respectifs nous confiaient à leur garde, pour les vacances. Il faut dire que je n'ai qu'un seul cousin, il n'avait pas beaucoup de concurrence, ma famille étant assez restreinte. Mais, je ne regrettais pas d'en avoir eu qu'un car j'étais persuadée d'avoir eu le meilleur. Du haut de ses 20 ans, il n'était pas beaucoup plus âgé que moi; et mes 18 ans, mais avait toujours été très protecteur. D'autant plus depuis les derniers événements.

Il m'embrassa affectueusement sur le front, me donna une petite tape dans la nuque en s'éloignant. Et tandis qu'il contournait la voiture, il me lança d'un air moqueur:

- Ana, lève la tête, on dirait que tu pars à l'abattoir !

Il éclata de rire en s'engouffrant dans le véhicule. La portière claqua et le moteur vrombit. Je n'avais plus envie de sourire. Je fis un signe de la main en direction de la voiture qui s'éloignait jusqu'à ce qu'elle fut hors de ma vue. Une fois seule sur le trottoir, je fis disparaître le rictus qui faisait office de sourire. Un profond sentiment d'abattement me submergea.

Je remontai les quatre étages qui me séparaient de mon nouveau chez moi en traînant les pieds sur les marches usées de l'escalier. Il ne s'agissait pas uniquement de la fatigue engendrée par les 4 heures de trajet ou les nombreux aller-retour dans les escaliers, les bras chargés de cartons, de meubles ou affaires diverses, ou encore le nettoyage de la chambre pour pouvoir y installer l'ensemble. J'avais l'impression que tout le poids des épreuves que je venais de surmonter ces derniers mois s'autorisait enfin à faire surface. Que je n'aurai désormais plus besoin de me tenir droite quand j'aurais juste besoin de m'effondrer. Je n'aurai plus besoin de faire semblant pour rassurer mon entourage. Je n'aurai plus besoin de me préoccuper de la souffrance que je leur renvoyais. J'allais pouvoir tourner une page sur ce qui m'était arrivé. Et en débuter une autre.

Loin de tout ce que j'avais connu. Loin de tout ceux que j'avais rencontrés. Loin de tout ce que j'avais vécu. Enfin.


Il s'agit d'un premier jet, je pose les idées comme elles viennent. J'espère que mes idées se préciseront au fil des pages et que mon "style" naîtra au fur et à mesure des mots et phrases. Je suis ouverte à toute suggestion, critique, commentaire. Je les attends même. N'hésitez pas, je vous répondrai.

Merci (d'avoir lu jusqu'au bas de la page, c'est déjà un premier pas encourageant)


Une nuit et un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant