Dijon. Ciel grisâtre. Bâtiments informes. Ville polluée par la fumée que rejettent les usines. Ici, les gens passent sans se voir. Comme des fantômes qui s'évaporent en un instant.
Erwan poussa un profond soupir et fit rouler sa valise jusqu'au tramway. Il allait à l'université le lendemain. La première fois qu'il avait visité la faculté de lettres de Dijon, il avait eu envie de s'enfuir en courant. La taille du bâtiment l'horrifiait. Des escaliers à n'en plus finir, des couloirs multiples, des milliers de portes...Il avait eu le tournis et avait dû se faire violence pour rester aux côtés de sa mère.
Pour se rassurer, il se répétait que beaucoup de jeunes gens devaient être dans la même situation que lui.
Cela ne le rassurait pas.
Il suivit la masse informe qui s'engouffrait dans le tramway et le regretta aussitôt. A l'intérieur régnait un brouhaha incessant. Le jeune homme avait l'impression que son crâne allait exploser. Il avait envie de hurler - pour qu'ils se taisent, pour être seul, pour avoir le silence. Mais il ne pouvait pas. Les gens le prendraient pour un fou. Ce qu'il allait peut-être devenir à force de les entendre.
Le tramway s'arrêta enfin à "Université". Erwan ne put s'empêcher de noter l'absurdité du nom : l'arrêt "Université" n'était pas devant l'université. Qui était donc l'idiot qui avait nommé les arrêts ? Avait-il bu en nommant celui-ci ? Tous les autres avaient un nom qui leur correspondait ! Il haussa les épaules et descendit.
Résidence Saint-Bernard. Bien. Il allait donc habiter chez Beethoven. Quelle idée d'avoir pris une race de chien pour nommer une résidence...
Il ne pouvait s'empêcher de tout voir en noir depuis qu'il était à Dijon. Rien ne lui plaisait. La ville le dégoûtait. L'université l'effrayait. Ici, il se sentait prisonnier. Son seul réconfort était qu'il pourrait rentrer chez lui le week-end. Hormis cela, rien n'irait bien cette année. Il le sentait. Et son instinct le trompait rarement.
Il avait le studio 107. Alors qu'il tentait de le rejoindre - le studio était au bout du couloir -, il croisa un garçon qui sortait.
-Bonjour, dit Erwan pour être poli.
Le garçon ne lui répondit pas, ne le regarda pas et se contenta de le bousculer pour ensuite continuer son chemin sans s'excuser. Erwan inspira profondément et reprit sa marche. Il ouvrit la porte de son studio et la claqua derrière lui, avant de fermer le verrou. L'année commençait mal. Très mal.
Il venait à peine d'arriver et il avait déjà envie de partir. Il voulait fuir. Fuir cette ville, cette résidence, cette université. Il voulait retrouver ses parents et le village où il avait grandi. Quitter cet endroit où les gens n'étaient que des ombres. Et il ne pouvait pas. Il détestait la ville et il était contraint d'y rester. Cela le révoltait. Mais il était condamné.
Trois ans. Trois ans à Dijon. Parviendrait-il à tenir ? Il n'en savait rien et cela l'effrayait. S'il craquait, il causerait de la peine à sa mère, chose qu'il ne désirait surtout pas. Il n'avait pas le choix : il devait rester et faire face, pour elle. Elle était tellement heureuse de le savoir ici ! Il refusait de la décevoir.
Il finit par s'endormir avec à l'esprit l'idée absurde que tout irait mieux le lendemain.