Chapitre 33

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-Erwan, rappelle-moi. Thibault m'a dit ce qui s'était passé. Je t'en supplie, rappelle-moi.

Cela faisait la cinquième fois qu'Erwan écoutait ce message. La voix de T était suppliante et paniquée. Mais il avait besoin de faire une pause. De s'écarter pour un temps de tous ces secrets qui ne seraient sans doute jamais révélés.

Il s'était éloigné de l'arrêt de tramway sans vraiment s'en rendre compte. Quetigny était la banlieue de Dijon et elle ressemblait davantage à la campagne qu'à la ville - avec tout de même quelques bâtiments désaffectés dont les murs étaient recouverts de tags.

Il avait le sentiment que son cœur se déchirait en deux. La première partie lui disait de rester loin de T ; la seconde lui hurlait de revenir vers lui. Il ne savait plus laquelle des deux écouter...

Si ça continue, je vais vraiment devenir fou.

La nuit tombait. A l'horizon, le manteau bleu du ciel se teintait déjà de sang. Bientôt, le monde serait plongé dans le noir.

Erwan savait qu'il aurait dû rentrer, mais ses pieds n'étaient pas de cet avis. Alors, il continua à marcher, sans regarder autour de lui, sans voir où il allait.

Parce que tu es aveugle, Erwan.

Tu mérites mieux que lui.

Tout ce que je peux te dire, c'est que tu vas nécessairement souffrir...

Il avait envie de hurler - sans pour autant y parvenir. Pourquoi Thibault se contentait-il de le mettre en garde, sans jamais lui en dire plus ? Pourquoi refusait-il de s'expliquer ?

Respire, Erwan !

Sa douleur se transformait en crise d'angoisse. Il suffoquait véritablement. Il se rendait bien compte qu'en voulant s'éloigner de ses problèmes, il les avait finalement emmenés avec lui. Mais il n'avait plus le courage de faire demi-tour.

L'air frais lui faisait tout de même du bien. Il en aspirait de grandes goulées pour tenter d'apaiser son angoisse.

Il te ment, Erwan. Reste loin de lui.

Il a besoin de toi. Il faut que tu le rejoignes.

Une fois de plus, sa conscience se divisait en deux. Et une fois de plus, il ne savait pas laquelle écouter.

Ne les écoute pas, ni l'une ni l'autre ! Continue à marcher !

Tiens, une troisième conscience. Il choisit d'obéir à celle-ci pour le moment.

Les lampadaires étaient à présent la seule source de lumière, avec les phares des voitures. Les silhouettes des bâtiments se découpaient dans l'ombre et se dressaient au-dessus de lui, menaçantes. Elles l'encerclaient, l'emprisonnaient. Il les avait au début considérées comme des alliées, mais l'obscurité les transformait en ennemies.

Ce ne sont que des immeubles. Calme-toi !

Il réalisa soudain à quel point il était seul. Si cette solitude avait au départ été la bienvenue, il la voyait à présent comme un danger. Perdu dans ses pensées plus noires que la nuit, il n'avait jusqu'ici prêté attention ni à la direction qu'il prenait ni au temps qui passait.

Continue à marcher, ne t'arrête pas !

Il fit demi-tour et repartit en direction de l'arrêt "Quetigny". Il n'était pas encore minuit, il y aurait forcément des tramways. Il se mit à trembler - de peur et de froid, il en était maintenant certain. Les rues étaient désertes. Il ne s'était encore jamais senti aussi seul - même lorsqu'il avait été seul face aux autres. Lui qui avait toujours préféré la solitude à l'isolement, il se demandait à présent si cette préférence était encore valable. Si être seul, complètement seul, n'était pas pire.

L'arrêt de tramway n'était plus là où il le croyait. Alors, il dut se rendre à l'évidence : il était perdu.


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