Ce matin-là, Erwan ne put s'empêcher d'observer discrètement son voisin. T avait indéniablement un certain charme : il avait des cheveux chocolat en bataille qui retombaient en de longues mèches sur ses yeux noirs. Des yeux d'encre, sombres et effrayants, qui ne donnaient nullement envie de s'y perdre. Mais Erwan remarqua soudain autre chose : le visage de T comportait des marques. De légers hématomes.
-Cesse de me dévisager ainsi !siffla soudain T.
Erwan haussa les épaules et détourna le regard. Que lui était-il arrivé ? Les questions tournaient dans sa tête et il savait qu'il ne pourrait en poser aucune. Etait-ce pour cette raison que T se montrait si antipathique ? A cause de ses hématomes et parce qu'il ne voulait pas qu'Erwan le plaigne ?
Le lendemain, il se retrouva à côté de Thibault : T avait changé de place et s'était installé à l'autre bout de la salle, le plus loin possible d'Erwan. Celui-ci ne savait plus comment réagir face à lui. Un jour, il lui parlait ; le lendemain, il l'évitait. Que voulait-il, à la fin ?
-Il est dangereux, Erwan, lui souffla Thibault. Ignore-le, tu ne t'en porteras que mieux.
-Son visage...Sais-tu ce qui lui est arrivé ?murmura Erwan.
-Je te l'ai dit, personne ne sait rien sur lui.
Erwan fronça les sourcils.
-Si personne ne sait rien sur lui, comment sais-tu qu'il est dangereux ?
Il vit Thibault baisser les yeux.
-La dernière fois...il s'est montré violent envers moi.
-La dernière fois que quoi ?s'énerva Erwan.
-Je ne peux rien te dire, souffla Thibault. Je t'en supplie, ne m'en demande pas plus. Je ne supporterai pas de subir à nouveau sa rage. Je lui ai promis de ne plus jamais recommencer, ne m'oblige pas à rompre mon serment.
Face au ton suppliant de Thibault, Erwan se tut. Mais le mystère qui entourait T commençait à l'agacer. Il subissait des violences et en faisait subir aux autres en les menaçant. Comme s'il se vengeait...Erwan frissonna à cette pensée. Thibault avait peut-être raison en disant qu'il valait mieux l'ignorer. Mais Erwan n'y parvenait pas. T l'intriguait trop pour qu'il pût ne pas prêter attention à lui.
Le soir, en rentrant chez lui, le jeune homme découvrit un papier plié en deux dans l'entrée. Son prénom était inscrit dessus. Surpris, il le ramassa et le déplia.
Erwan,
viens chez moi demain soir, après les cours. Studio 104. Nous pourrons discuter.
T.
P.S : ce n'est pas une proposition. C'est une obligation.
Erwan en demeura bouche-bée : pour qui se prenait-il, à lui donner des ordres comme s'il était son maître ? Durant un court instant, il se dit qu'il n'irait pas. Mais il savait en son for intérieur qu'il se mentait à lui-même. Evidemment qu'il irait. Pas parce que T l'y obligeait, mais parce qu'il avait envie de le connaître, de lever le voile qui l'enveloppait. Or, seule la conversation pourrait permettre ce dévoilement - du moins, l'espérait-il.
Il posa le papier sur la table et alla se coucher sans manger. Cette nuit-là, ses rêves furent peuplés d'un garçon aux cheveux chocolat et aux yeux noirs...
Le lendemain, lorsqu'il se réveilla, deux pensées se télescopèrent dans son esprit : il avait rêvé de T et il allait chez lui après les cours. Un garçon qui l'évitait et qui semblait le haïr l'avait invité chez lui. Il y avait de quoi devenir fou.
En cours, T ne lui accordait toujours pas la moindre attention. Erwan ne savait définitivement plus quoi penser. Et Thibault qui lui avait demandé de l'ignorer...Il allait devoir faire fi de son conseil.
Nouveau papier dans l'entrée.
20 h chez moi. Je t'attendrai.
T.
Erwan ne put s'empêcher de frissonner en lisant la seconde phrase. Il avait l'impression de lire les mots d'un pervers...Cette idée ne le rassurait pas.
Devait-il vraiment y aller ? Etait-ce bien prudent ? Si T était dangereux...Peut-être ne devait-il pas l'écouter, finalement. Peut-être valait-il mieux ne pas prendre de risques.
A vingt heures, il était devant le studio 104.