-Mange, Erwan.
Erwan sourit et mordit dans son sandwich. Il ne parvenait pas à penser à autre chose qu'à T.
-Son tuteur...Penses-tu qu'il sache son prénom ?
L'initiale l'intriguait toujours, bien qu'il s'y habituât progressivement. Il vit Thibault hausser les épaules.
-Je n'en ai pas la moindre idée. Mais si j'étais toi, j'éviterais d'aller le rencontrer. Etant donné ce qu'il inflige à T...
Erwan rit en l'entendant.
-Je ne suis pas fou.
-Tu me rassures.
Le sourire d'Erwan s'effaça.
-Tu m'as dit que je ne pourrai jamais savoir qui est réellement T. Pourquoi ?
Il vit Thibault baisser les yeux, visiblement gêné.
-Ce n'est pas à moi de te le dire, répondit-il finalement.
-Alors, pourquoi m'en as-tu parlé ?répliqua Erwan.
-Je suis désolé. Je t'assure que je ne veux que ton bien, Erwan. Mais je ne peux rien te préciser.
-Ce mystère va finir par me rendre fou...
-Crois-moi, il vaut mieux que tu ne saches rien.
Il vaut mieux ? T était-il donc si mauvais pour que tout ce qui tournât autour de lui fût de pire en pire ? Erwan refusait catégoriquement cette idée.
-Dans ce cas, il vaut mieux que tu ne me dises rien, maugréa-t-il. Parce que plus tu m'en diras de manière évasive, plus j'aurai envie de savoir. Ça semble logique, non ?
-Tu as raison. Je ne te dirai plus rien. Je suis vraiment désolé.
-C'est bon, répondit Erwan en souriant.
-Parle-moi un peu de toi, lui dit Thibault en lui rendant son sourire.
Erwan haussa les épaules.
-Il n'y a pas grand-chose à dire...Je vis à Montagny avec mes parents. Un petit village de campagne. Et je déteste la ville. J'adore lire, surtout des romans. Ils me permettent de m'évader. C'est à peu près tout. Et toi ?
-J'ai toujours vécu à Dijon. Mes parents sont divorcés, je vis avec mon père et je vois ma mère le week-end. Et j'ai une petite amie depuis maintenant deux ans.
Erwan sourit.
-Comment s'appelle-t-elle ?
-Léna. Je te la présenterai un jour, elle est vraiment adorable.
Le sourire d'Erwan s'effaça et son regard se porta au loin dans le ciel infini qu'aucun nuage n'entachait. Thibault avait sa petite amie. Il voyait ses parents, même s'ils étaient divorcés. Et lui ? Que lui restait-il, désormais ? Celui qu'il aimait était dans un état critique. Et ses parents, en plus d'être loin de lui, avaient toujours refusé de le comprendre. Il n'avait plus rien. Il était vide, même s'il n'était pas seul. Et plus le temps passait, plus l'absence de T lui pesait...
-Erwan ?
Erwan sursauta.
-Pardonne-moi. J'étais ailleurs.
-C'est ma faute. Je n'aurais pas dû te parler de Léna, alors que toi et T...
-Ne t'inquiète pas, l'interrompit Erwan. Ça va.
-Non, ça ne va pas et tu le sais aussi bien que moi. Cesse de nier l'évidence.
Surpris, il regarda Thibault. Son ami n'avait pas élevé la voix, mais le reproche s'était tout de même fait entendre.
-Je peux partir, si tu veux, murmura-t-il.
-Non, lui répondit Thibault. Je suis désolé. C'est juste que...je me fais du souci pour toi. Te voir dans cet état me fait mal.
Erwan baissa les yeux. Il était désormais inutile de répéter que tout allait bien. Thibault avait raison : son mal-être était trop évident pour que personne ne s'en aperçût.
-Je ne parviens pas à penser à autre chose, avoua-t-il. Son absence me rend fou.
-Il le faudrait, pourtant. Je ne voudrais pas qu'il te fasse du mal.
-Il ne me fera jamais aucun mal.
-Je le connais mieux que toi, Erwan, je t'assure. C'est pour ton bien que je te dis ça...
A ces mots, Erwan le fusilla du regard.
-Loris et toi...qu'avez-vous contre lui ? Que vous a-t-il fait pour que vous le haïssiez à ce point ?
Il vit Thibault baisser les yeux à son tour.
-Il a fait des choses absolument horribles. Pires que tout ce que tu pourras jamais imaginer. Il a fait souffrir des gens. La plupart d'entre eux ne s'en sont jamais remis. Certains en sont devenus fous. Il te fera souffrir aussi. Je ne sais même pas si tu pourras t'en relever un jour. C'est tout. Je t'en ai déjà trop dit.
Erwan avait pourtant l'impression qu'il ne lui avait rien dit du tout.