Durant toute la journée, il avait dû faire face aux remarques désagréables qui avaient blessé le cœur d'Erwan. Même si son ami n'avait rien dit, il avait senti à quel point ces réflexions l'avaient touché. Autant qu'elles le touchaient lui.
Il n'avait pas su le rassurer. Pour la première fois depuis qu'il connaissait Erwan, il n'avait pas su remplir son rôle de protecteur. Et cela le désespérait. Il s'était senti impuissant face à tous ses adversaires et il n'avait pas su trouver les armes pour les combattre.
Le pire était sans doute qu'il savait pourquoi les étudiants réagissaient ainsi. Il savait et il ne pouvait rien dire à Erwan. Rien du tout. Il était piégé. Ils l'étaient tous les deux. Et seul un drame pourrait les délivrer. Ils avaient une épée de Damoclès au-dessus de la tête et le crin menaçait de céder à chaque instant.
Il ignorait si révéler la vérité aurait été plus simple que cette situation qui les rongeait. Il n'en était pas certain. Parfois, la vérité est plus dangereuse que le secret...Il voulait protéger Erwan, mais en était-il vraiment capable ?
La conversation qu'il avait eue avec Loris au téléphone n'arrangeait rien. Il tournait et retournait les propos échangés sans trouver aucune solution.
-Pourquoi t'obstines-tu ?
-Parce qu'il doit savoir. Il doit tout savoir.
-Non. Tais-toi. Tu te tais, d'accord ?
-Il doit être mis au courant, T. Il doit comprendre qui tu es réellement.
-Non. Arrête de t'en prendre à lui. Tu sais très bien que ça ne changera rien.
-Je t'appartiens. Et tu m'appartiens.
-Ça fait longtemps que j'ai cessé de t'appartenir. Laisse-le tranquille. Je ne plaisante pas.
Il ne parvenait pas à la chasser de son esprit. Il savait que Loris avait tort. Pourtant, une petite voix lui soufflait qu'il avait en partie raison. Pas sur le fait qu'il lui appartenait, mais sur le fait qu'Erwan devait savoir. Peut-être devait-il lui dire...
Il secoua la tête. Non. Non, non et non. Non, il ne pouvait pas. S'il lui disait, cela n'aurait que des conséquences négatives. Il ne pouvait pas se permettre de le perdre. Plus maintenant.
Ils étaient trois pions sur un jeu de dames géant. Erwan était le noir. Il était le blanc. Il avait le troisième rôle, celui de la dame. Mais cette dame n'était ni noire ni blanche : elle était la plus dangereuse, celle qui les dévorerait tous les deux si la partie n'avançait pas suffisamment vite. Or, plus le temps filait, plus la partie ralentissait. Elle stagnait et il ne savait comment la faire accélérer. Tout en sachant pertinemment que son sort et celui d'Erwan étaient désormais entre ses mains.