-Te souviens-tu de ce que Thibault t'a dit sur ma naissance ?
Erwan acquiesça.
-Tu es né sous X.
-Oui. Eh bien...il y a une raison à cela. Je l'ai appris à l'âge de huit ans. Et je ne m'en suis jamais remis.
Il le vit inspirer profondément pour se donner du courage. Il attendit, le cœur battant.
-Je suis né d'un viol.
A ces mots, Erwan se figea et cessa de respirer. Il avait dû mal entendre. Ce n'était pas possible autrement. Mais lorsqu'il croisa le regard de T, il sut qu'il avait parfaitement bien entendu...
-Mon dieu, murmura-t-il.
Il vit T se mettre à trembler.
-C'est...C'est lui qui me l'a révélé quand j'ai été en âge de le comprendre.
Erwan le reprit dans ses bras.
-Je suis vraiment désolé, T...
Il s'était attendu à tout, sauf à cela. Que sa mère se prostituait, qu'elle était tombée enceinte alors qu'elle était mineure, que son père était alcoolique, qu'il n'avait jamais voulu d'enfants et qu'il l'avait forcée à l'abandonner, qu'elle avait paniqué et renié sa grossesse...Oui, il s'était vraiment attendu à tout. Mais certainement pas au viol. C'était pire que tout ce qu'il avait pu imaginer.
-Il n'était pas là, mais il a eu une lettre d'un témoin qui m'avait recueilli et amené à lui.
Erwan sentit T se dégager doucement et se lever. Il l'entendit fouiller dans la poche de sa veste et revenir vers lui. Il lui tendait un feuillet plié en quatre et recouvert d'une écriture noire très serrée. Erwan le prit en tremblant et le déplia.
-Je le garde toujours sur moi. Comme une preuve. Pour réaliser ce qui s'est réellement passé.
Monsieur Doyen,
voici un enfant que j'ai arraché aux griffes d'une sombre histoire.
J'ai reçu ce matin un appel peu ordinaire : il s'agissait du président du conseil général.
La veille, le juge des enfants a été contacté par le Centre Hospitalier Universitaire : les médecins avaient recueilli un enfant né sous X accompagné d'une lettre qui interdisait à quiconque de révéler son nom. La mère a même refusé de dévoiler sa propre identité. En revanche, elle leur a expliqué la raison de l'abandon.
L'enfant est issu d'un viol.
Le juge et les médecins ont donc cherché à le placer. Or, il se trouve que je suis membre de l'ASE - l'Aide Sociale à l'Enfance. Par conséquent, ils se sont tournés vers moi et, suite à une réunion, il a été décidé que je le placerais dans une famille.
Comme vous êtes assistant familial, il m'a semblé tout naturel de vous le confier.
J'espère que vous accepterez de le prendre en charge.
Cordialement.
Monsieur François.
Erwan en demeura bouche-bée. L'horreur allait-elle un jour laisser T en paix ?
-J'espère que tu comprends mieux ce que je vis, désormais...
Erwan le prit dans ses bras.
-Oui. Oui, je comprends. Je suis vraiment désolé. Je ne pensais pas que c'était si grave.
Ils restèrent un moment silencieux.
-Pourquoi ton tuteur a-t-il accepté de te recueillir, alors qu'il te bat ?murmura soudain Erwan.
Il entendit T soupirer.
-Je m'attendais à ce que tu me poses cette question un jour. Tu dois savoir qu'il est un manipulateur. Le genre de personnes qui n'éprouvent du plaisir que dans la souffrance de l'autre. Et il sait être bon acteur face à autrui, en prétendant que tout va pour le mieux entre nous. Il ment, brode, falsifie. Et nous sommes tous impuissants face à lui.