Lorsqu'Erwan poussa la porte de son studio ce soir-là, ses yeux se posèrent sur le visage inquiet de T. Avant qu'il n'ait eu le temps de faire le moindre geste, il se retrouva serré contre lui.
-Dis-moi que tu vas bien. Qu'il ne s'en est pas pris à toi. Dis-le moi, Erwan.
Erwan le serra à son tour contre lui.
-Du calme. Oui, je vais bien et non, il ne s'en est pas pris à moi.
Ils s'écartèrent doucement l'un de l'autre.
-Raconte-moi.
Erwan lui relata tout dans les moindres détails, sans rien omettre. Il vit T blêmir à mesure qu'il avançait dans son récit.
-Je me souviens très bien de Clara. Je ne sais s'il y a jamais eu un moment où il l'a aimée. Je crois que nous étions tous deux des sacs de frappe sur lesquels il aimait se déchaîner.
Erwan frémit à ces mots. Pourtant, il savait que T avait raison.
-Ce qu'il vous inflige...C'est vraiment terrible, murmura-t-il.
-Oui, acquiesça son ami. J'ai eu plus de chance que Clara. C'est elle qui a parlé de moi à l'un de ses amis pour qu'il me trouve un studio à Dijon. Pour que je m'éloigne de lui quelque temps, même en revenant le week-end. Elle...Elle a été comme une mère pour moi. La mère que je n'ai jamais eue.
Erwan hocha la tête.
-Je comprends.
Je suis né d'un viol.
L'aveu de T résonnait encore dans son esprit. Il ne parvenait toujours pas à le réaliser. A comprendre que c'était réel. Que ce pouvait être réel. Pour lui, cela relevait de l'utopie. Cela se produisait dans les romans ou les films. Pas dans la réalité.
-A quoi penses-tu ?lui demanda doucement T.
Il soupira.
-A ce que tu m'as révélé sur ta naissance, avoua-t-il. Je...C'est tellement dur...
Il sentit les bras de T le serrer plus fort.
-N'y pense pas, Erwan. N'y pense plus. Je ne mérite pas ta pitié.
-Bien sûr que si, tu la mérites.
T se mit à trembler contre lui.
-Non...Non, je ne la mérite pas...Clara la mérite. Pas moi.
-Pourquoi te flagelles-tu ainsi ?murmura Erwan.
Il y eut un long silence.
-Parce que je suis quelqu'un de mauvais. Et que personne ne pourra jamais me faire redevenir meilleur.
-Tu n'es pas mauvais, T. Tu souffres, c'est différent.
Les yeux noirs de T rencontrèrent les siens.
-Tu as raison : je souffre. Mais ne me dis pas que je suis bon avant de me connaître réellement.
Erwan leva la main pour effleurer son visage.
-Tu es bon. Je sais que tu es bon. Je te connais suffisamment pour en être sûr.
-Tu ne me connais pas, Erwan. Tu ne sais rien de moi.
-Il y a des choses que tu ne veux pas ou ne peux pas me révéler et je le comprends. Mais je te connais suffisamment pour sentir que ton cœur n'est pas aussi sombre que tu cherches à me le faire croire.
-Erwan...
Erwan le fit taire d'un baiser : il ne voulait pas en entendre davantage.
Il craignit un instant que T ne le repousse. Mais la réaction fut tout autre.
Les doigts de son ami se glissèrent dans ses cheveux, le faisant frissonner. Ils exercèrent une légère pression pour approfondir le baiser. Puis, ils effleurèrent sa nuque et descendirent pour se glisser sous son tee-shirt et frôler tendrement son dos.
Il l'imita, savourant leur contact réciproque.
Les doigts dansaient sur la peau, légers comme une plume. Mais un danseur a besoin d'espace pour s'envoler. Alors, les rideaux s'ouvrirent, laissant les chorégraphes entrer sur la piste.