Marcher. Marcher. Il devait marcher. Marcher pour oublier. Marcher pour se calmer.
Il était descendu à l'arrêt "Quetigny Centre", le terminus opposé à la gare. Il était sûr que Thibault ne viendrait pas le chercher ici. Que personne ne viendrait le chercher ici.
Il en avait assez que Thibault le mette en garde contre T sans rien lui expliquer. Entre les menaces de Loris et la maltraitance de T, les propos de son ami avaient été la goutte d'eau. Il n'en pouvait plus. Il n'en pouvait plus de ce mystère qui l'étouffait. Il n'en pouvait plus qu'on le menace sans cesse. Il n'en pouvait plus de voir T souffrir injustement.
Marcher. Encore et encore. Il ne savait pas où il allait, mais il s'en fichait. Il avait seulement besoin de sentir ses pieds frapper le bitume. Il aurait aimé pouvoir piétiner ses problèmes comme il piétinait le trottoir. Mais c'était impossible.
Son portable vibra. C'était Thibault. Il serra les dents et pressa la touche rouge. Il ne voulait plus lui parler. Plus jamais.
Tu mérites mieux que lui.
Comment avait-il osé lui dire une telle chose ? Il ne savait rien de sa relation avec T. Comment avait-il pu se permettre de le juger ainsi ?
Nouvelles vibrations. Il reprit son portable en soupirant de rage, lorsqu'il vit soudain le nom qui s'affichait.
Inconnu.
Il leva les yeux au ciel.
Pas aujourd'hui, supplia-t-il en silence.
Il pressa à nouveau la touche rouge et mit son portable en silencieux. Il avait suffisamment eu de problèmes pour la journée.
Si Thibault avait critiqué leur relation, mais qu'il avait expliqué pourquoi il la critiquait, Erwan se serait sans doute montré plus indulgent. Mais il ne lui avait rien dit. Rien du tout. Pourquoi ne cessait-il de désapprouver leur amour sans jamais argumenter ?
Erwan avait besoin de preuves. De quelque chose de solide qui lui permettrait de comprendre pourquoi Thibault cherchait à le mettre en garde contre T. Or, il n'avait rien. Il avançait à tâtons dans une histoire noire comme de l'encre. Pas de preuves. Pas d'explications. Pas d'indices. Rien. Il n'avait rien.
Calme-toi, Erwan, détends-toi.
Il n'y parvenait pas. Il avait envie de hurler de rage et de désespoir, mais, comme d'ordinaire, le hurlement resta bloqué dans sa gorge. Il n'avait jamais réussi à extérioriser ses émotions - hormis la tristesse. Sa colère était toujours restée en lui, depuis qu'il était tout petit.
Parce que tu es aveugle, Erwan.
Il serra les dents en se remémorant les propos de Thibault. Comment avait-il osé lui parler de la sorte ? Il n'en revenait toujours pas. Il se sentait trahi par celui qu'il avait cru être son ami. Une fois de plus, son cœur était blessé, meurtri. Il était seulement soulagé que ce soit avec Thibault et non pas avec T - avec T, il n'y aurait pas survécu. Mais Thibault était son seul ami et il avait peur de se retrouver seul face à Loris.
Il ne reviendrait pas vers lui. La douleur était trop grande. Il avait bien évidemment envie de revenir vers T. Mais pour l'instant, il désirait surtout être seul. S'il revenait voir T, il craquerait. Et il n'en avait pas envie.
Pourquoi lui avait-il dit qu'il était aveugle ? Pourquoi critiquait-il leur relation ? Pourquoi le mettait-il en garde contre T ? Pourquoi refusait-il de se justifier ? Pourquoi tant de mystère et de secrets ?
Toutes ces questions n'auraient sans doute jamais de réponses...
Il avait l'impression de suffoquer. Se calmer. Il devait se calmer. Il reprit sa marche en tremblant, sans savoir si c'était de froid, de peur ou de désespoir. Ou s'il s'agissait des trois réunis.