SabrinaCatrain

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1er décembre : Au détour d'un café

Brrr...Ça sent la neige à des kilomètres à la ronde et ce vent glacial me fouette le visage de ses milliers d'aiguillons qui me traversent la peau de part en part. Pourtant, couverte comme je le suis, je n'arrive pas à comprendre comment elles arrivent encore à passer au travers de mes couches successives de tissus.

Je suis la seule à rêver d'un feu de cheminée, enroulée dans une couverture polaire à lire un bouquin d'une main et de l'autre, avoir cette délicieuse tasse de chocolat chaud, nappée de chantilly ?

Parce que la foule dans les rues, alors qu'il doit faire dans les alentours de moins trente degrés, s'agglutine sur les trottoirs comme en plein été. Bon j'exagère un peu niveau température mais je suis certaine que l'on s'y approche très certainement.

Mes pas hésitant sur le trottoir légèrement gelé, n'arrange en rien la colère dans laquelle je suis, seulement parce que ma sœur enceinte jusqu'au menton a envie d'une crème glacée à la fraise. C'est un comble quand même, cette envie soudaine chez ces femmes. Elles ne peuvent pas juste avoir envie de rien du tout, mais non, elles sont chieuses du début à la fin et qui en pâti, ben c'est bibi.

Pourquoi ?

Parce que le futur père est en déplacement toute la semaine et bien sûr, la gentille sœurette que je suis, cède à tous ses caprices.

- Franchement, Lucie, tu me déçois... Je sais pas moi, tu aurais pu lui dire d'y aller elle même si elle en avait vraiment envie à ce point. Merde quoi, c'est toi qui se gèle les miches, pendant que madame boule de boowling est au chaud...

Voilà que maintenant je parle à voix haute, seule à moi-même et les regards inquisiteurs des passants qui doivent me prendre pour une folle par-dessus le marché. Fais chier !!!

Lorsque j'arrive à l'intersection pour rejoindre ce foutu magasin, un mur en béton armé m'arrive en pleine face et je chute lamentablement sur les fesses, les quatre flairs en l'air. Imaginez l'image de cette pauvre tortue sur sa carapace qui essaie en vain de se retourner pour être de nouveau sur ses pattes et bien c'est moi à cet instant précis.

Et je vous interdis de vous moquer, ou je vous jure que je vous retrouverai un par un...

- Excusez-moi, je ne vous avez pas vu, vous...vous allez bien ? S'adresse à moi ce mur à la voix rauque étouffée, en me tendant la main.

- Il faut vous acheter une paire de lunette René la taupe, l'insurgé-je en refusant sa main.

Un pilonne juste à côté de ma tête me vient en aide et je l'agrippe de mes deux mains gantées. Les passants m'enjambent plutôt que d'essayer de m'aider à me redresser et René est toujours là face à moi et cette fois, il a croisé les bras sur son torse, regardant le spectacle magnifique que je lui offre autour de mon pôle-dance de béton. Et en plus, il a l'air de se foutre de ma gueule par-dessus le marché.

C'est vrai que là... tu es très sexe ma poule...

- Ahaaaa !!! Vous pouvez m'aider au lieu de vous foutre de moi ? L'enguirlandé-je.

Deux bras passent sous les miens et en moins de temps que j'ai à le dire, je suis déjà sur mes deux jambes, fébriles certes, mais je suis debout, nez à nez avec deux iris chocolat noisette ancrés dans mon vert bouteille.

- Bonjour vous...

Je viens de dire quoi là ? Mais je suis complètement atteinte, ce n'est pas, possible mon cerveau est congelé et il fait dire à ma bouche n'importe quoi...Sortez-moi de ce guêpier, je vous en supplie...

Un trou de souris, je veux un trou de souris pour me cacher dedans jusqu'à la fin de mes jours, tellement j'ai honte de moi à cet instant.

- Bonjour mademoiselle, me sourit-il de ses yeux moqueurs.

Ses yeux s'illuminent et la chaleur semble envahir mon corps devant ses étincelles qui pétillent dans la profondeur de ses iris.

- Je vous invite à boire quelque chose de chaud pour me faire pardonner ? Et justement nous sommes pile au bon endroit regardez...me montre-t-il en tendant sa main vers le café juste au coin de cette rue.

- Ok, mais seulement parce que j'ai besoin d'ingurgiter un truc chaud et pas longtemps, j'ai une boule de boowling qui m'attend, lui dis-je et dont je regrette encore de l'avoir ouvert pour dire des conneries une fois de plus.

Sa main posée sur le creux de mes reins, il m'invite à entrer et nous prenons place à une table près d'une bibliothèque remplie de livres, puis il part commander au bar lorsque je lui ai avoué après sa demande, que je désirais un chocolat chaud chantilly.

Pendant que je défais mon blouson, libérant mes cheveux bruns de mon bonnet, mes yeux s'émerveillent, papillonnant l'intérieur du bistrot et l'ambiance chaleureuse que je ressens là maintenant, détendant instantanément mes muscles endoloris par le froid polaire de l'extérieur. Des dizaines d'étagères proposent une pause lecture accompagnée d'une tasse fumante de ce qu'il nous fait envie, chocolat, café, cappuccino et j'en passe...

L'odeur du pain d'épice tapisse mes narines et mon regard s'arrête sur René la taupe. Il avait déposé les tasses sur la petite table et je ne m'en étais pas rendue compte jusqu'à ce qu'il se racle la gorge, une fois qu'il s'était déshabillé à son tour pour se mettre à l'aise.

Ses cheveux châtains en pagaille dû à son bonnet, lui donne une allure d'enfant et pourtant sa mâchoire carrée et sa barbe de quelques jours annonce bien son âge adulte. Ce type est tout simplement beau à regarder et maintenant je regrette mon René la taupe qui ne lui correspond pas du tout. Son sourire me laisse découvrir une dentition parfaite et là tout de suite, la seule pensée que j'ai, est :" je suis certaine que ce type à une femme qui l'attend sagement à la maison, ou... Il est gay".

- Je m'appelle Davis et vous ?

- Lu..Lucie, merci pour le chocolat, lui dis-je en portant la tasse à ma bouche.

Nous avons fait connaissance et nous avons beaucoup ri. J'ai énormément apprécié être en sa compagnie que j'en ai oublié cette fameuse glace à la fraise pour ma gentille sœurette, lorsqu'il est venu cueillir la chantilly de son pouce sur le coin de ma lèvre, pour le porter ensuite à sa bouche, oubliant ce pourquoi j'avais atterri ici. Avant de se quitter nous avions échangé nos numéros de téléphone pour se rencontrer les jours suivants.

Et suivant...

Et suivant...

Et suivant...

Et tous les jours je repense entre ses bras, à notre rencontre au détour d'un café... Notre café... Puisqu'aujourd'hui nous l'avons acheté ensemble et maintenant c'est nous les entremetteurs de ces rencontres, comme nous avons fait la nôtre il y a dix ans...

Concours de Noël 2016Where stories live. Discover now