Concours de Noël 2016

Dokapim92

1 er décembre

Dokapim92

Au détour d'un café

Au détour d'un café, un jeune homme avance. Ses yeux bleus délavés brillent de cette lueur d'insouciance propre aux jeunes gens. La pâleur de son visage contraste avec la noirceur de son manteau. Une écharpe rouge entoure son cou mince, voletant doucement sous les coups de la brise hivernale. Il s'assied à la terrasse du café, face à la place de la ville. Il admire la fontaine aux habits de dentelle glacée. Son eau gelée fait le bonheur d'un groupe d'enfants qui, le bonnet de laine enfoncé jusqu'aux yeux, tentent de toutes leurs forces de la briser. Les flocons tombent lentement, s'écrasant en un bruit feutré sur la chaussée qui se vêt d'un manteau immaculé. Le jeune homme se lève, s'efface pour laisser passer une femme aux bras chargés d'achats pour Noël, sourit en croisant un couple qui s'embrasse sous les guirlandes illuminées de la place, et retourne d'où il était venu, secouant ses cheveux clairs couverts de neige.

Au détour d'un café, un homme avance. Des pattes d'oies surgissent au coin de ses yeux de glace,alors qu'il s'installe sur la terrasse, en face la place. Cela fait maintenant vingt ans qu'il accomplit ce même rituel à cette époque de l'année. Qu'il aime cet endroit ! La neige est tombée plus drue cette nuit : une épaisse couche blanche recouvre la fontaine, sur laquelle les oiseaux ont déposé çà et là leurs empreintes étoilées. On dirait une robe de mariée. A côté d'elle, éclairée par les lumières clignotantes des guirlandes qui pendent aux branches des arbres dévêtus, une chorale de jeunes interprète les traditionnels airs de Noël. La foule des passants se presse, ravie, pour les écouter, et ne tarit pas d'éloges et d'applaudissements.

L'atmosphère est emplie d'un air de fête. L'homme se lève, observe une dernière fois ces familles heureuses de se retrouver, et reprend le chemin par lequel il est arrivé. Au détour d'un café, un vieil homme avance. Son pardessus noir, usé par les ans, touche à terre, tellement son propriétaire marche courbé. Il s'appuie sur une canne et trottine lentement jusqu'à sa place favorite. La fontaine est toujours là, marquée par les ans elle aussi. Ses bords fendillés ont été débarrassés de la glace qui la recouvrait. Il n'y a plus de guirlandes aux arbres, mais un immense sapin trône non loin, ses branches d'un vert profond ornées de cadeaux et de nœuds multicolores.

A son pied, un marchand de marrons interpelle les passants qui, le nez enfoui dans leur écharpe, ne l'écoutent pas. Seuls, quelques enfants s'arrêtent, puis repartent, leurs mains gantées remplies de fruits chauds. Un homme aux habits crasseux fredonne d'une voix douce « Angels we have heard on high », tout en grattant de ses doigts gourds une guitare aux cordes fatiguées.

Le vieil homme soupire. Il doit partir. Il sait que c'est la dernière fois qu'il vient. La dernière fois après cinquante ans passés à admirer chaque période de Noël depuis la terrasse de ce café. Ses mains tremblent lorsqu'il s'appuie sur sa canne pour se lever. Il repart d'un pas traînant, et disparaît à jamais au détour du café. Au détour d'un café, un enfant avance. Ses cheveux clairs s'échappent en boucles folles de son bonnet aux rennes rouges. Les joues empourprées sous la morsure du froid, il suce un sucre d'orge. Un vieux monsieur le lui a offert tout à l'heure ; un vieux monsieur au long manteau noir, aux cheveux de neige, aux yeux délavés. Un vieux monsieur appuyé sur une canne. L'enfant ne le connaît pas, mais il l'a remercié d'un grand sourire et a accepté la friandise.

Il arrive maintenant sur la place, admire le sapin, écoute l'homme à la guitare, observe le vendeur de marrons, caresse les bords usés de la fontaine, et aperçoit la terrasse du café. Il s'installe sans gêne aucune sur une des chaises. Celle-ci est encore chaude, comme si la personne qui l'occupait avant venait juste de partir. Il lance un regard satisfait autour de lui : de sa place, il a une parfaite vue d'ensemble. Alors, suçant toujours son sucre d'orge, il note le moindre détail du paysage qui s'offre à lui...

... et se promet de revenir l'année prochaine...