Tant que je ne réponds pas, il ne peut pas voir dans quelle situation périlleuse il est sur le point de s'immiscer. Un instant, je songe à ignorer l'appel en tentant une phrase appropriée du genre « Hum... c'est embarrassant... ». Mais quand j'entends ma mère me hurler :
— COMMENT TU RÉPONDS À CE MACHIN ? T'as intérêt à répondre, Vera, et VITE !
... je me résous à décrocher, non sans réprimer un soupire de frustration extrême. J'aurais dû me montrer plus prudente, aussi, et laisser ce satané holophone dans mon sac.
Il n'empêche que la réaction de Miguel vaut le détour. S'il s'était attendu à faire face à une Lisa Perez furibonde en m'appelant, il aurait sans le moindre doute fait en sorte d'éradiquer tout moyen de communiquer avec moi.
Je lis dans son regard la tentation de raccrocher avant que ça ne tourne réellement au désastre. Car, oui, depuis la disparition de mon père, l'entente cordiale entre ma mère et sa belle-famille n'est pas des plus optimisée. Et c'est un sacré euphémisme. Je m'en rends de plus en plus compte lorsque je suis témoin de ce genre de scène, qui, heureusement, sont rarissimes.
— N'Y PENSE MÊME PAS MIGUEL ! braille ma mère en exhibant férocement ses crocs (elle aussi a dû sentir l'hésitation de Miguel à couper le contact). Assume un peu tes actes pour une fois dans ta chienne de vie ! Depuis combien de temps tu complotes avec ma fille, HEIN ? Depuis...
Miguel a le sang chaud aussi. Voire même, bouillonnant. Il n'attend bien entendu pas que ma mère termine de le maudire pour riposter en espagnol.
L'espagnol est la langue idéale pour les disputes. Tellement plus percutante, tellement plus vive et cinglante que les autres ! Ça fuse dans tous les sens, on se croirait dans un zoo en pleine apocalypse.
Pour information : mon père et Miguel sont cubains. Ma mère est canadienne, mais on a vécu assez longtemps en Amérique du sud pour parler couramment la langue maternelle de mon père.
Là, tout de suite, ce n'est pas quelque chose dont je pourrais me vanter, lorsque mes tympans subissent l'invasion inopinée d'un torrent de noms d'oiseaux que j'aurais franchement honte de savoir traduire dans la langue de Molière.
Je décrypte cependant entre les... lignes, la raison de l'appel de mon oncle. Il aurait une nouvelle à m'apprendre, à moi et moi seule. Ma mère n'a pas apprécié. Et je suis reconnaissante envers Miguel de ne pas avoir abordé mes récentes découvertes de cet après-midi. Car bien que ma charmante mère se doute que Miguel et moi collaborons ensemble dans la recherche de mon père, à présent, je ne tiens pas à ce qu'elle en apprenne les tenants et les aboutissants. Je ne veux pas qu'elle sache que Miguel et moi échangeons quasiment tous les jours nos découvertes respectives. Je ne veux pas qu'elle apprenne que nous nous rapprochons de plus en plus de notre objectif. Elle pourrait tout gâcher. Elle a un don pour ça.
— Très bien, puisque tu insistes lourdement pour me soutirer des informations qui ne te concernent pas..., finit par répliquer Miguel toujours en espagnol.
— BON SANG, MIGUEL, IL S'AGIT DE MA FILLE ! explose Lisa Perez avec une prestance des plus déstabilisante.
Ma mère peut se montrer très persuasive par moment. Très effrayante, aussi. Quand elle fulmine comme ça, elle pourrait faire pâlir un zombie décapité. Pourtant, Miguel ne sourcille pas le moins du monde. Je mets ça sur le compte des milliers de kilomètres qui nous séparent.
— Et il s'agit de ton MARI ÉGALEMENT ! lui crie-t-il en retour.
A nouveau, voici des répliques que je me dois de censurer... jusqu'à ce que ma mère reprenne d'un ton — un chouïa — moins agressif :
— Pablo ne reviendra pas, Miguel ! Quand est-ce que vous allez finir par vous imprimer ça dans le cerveau ? Il ne reviendra jamais ! Ce n'est même plus de l'acharnement, mais du masochisme. Si tu veux ruiner ta vie pour une cause perdue, ça te regarde. Mais de quel droit embarques-tu Ra avec toi ? Tu devrais avoir HONTE !
— Ca suffit Lisa ! j'interviens en français, avec une assurance insoupçonnée. On arrivera jamais à trouver un terrain d'entente. Soyons raisonnables et cessons de débattre sur le sujet. C'est la meilleure décision à prendre.
— Si tu crois que je vais te laisser influencer par ce sale...
— De toute façon tu n'as pas le choix Lisa, annonce Miguel (juste à temps) d'un ton incroyablement posé.
Il a beau avoir un accent très prononcé en français, mi-hispanique mi-québécois, mon oncle sait imposer le respect en toute circonstance. Ma mère et moi nous tournons lentement dans sa direction. Il s'apprête à annoncer quelque chose d'important, c'est plus qu'une évidence. Même Lisa Perez l'a compris. Le fait qu'elle réprime toute forme de riposte me le prouve. Dompter ma mère n'est pas donné à tout le monde, vraiment. Miguel est un génie. Et il en a tout à fait conscience. Il savoure quelques secondes sa petite victoire avant de lancer avec nonchalance à ma mère :
— Tu n'as pas le choix, car j'ai du nouveau pour Vera. Et ceci était la raison initiale de mon appel, soit dit en passant...
Son regard holographique se tourne désormais vers moi. Il me sourit tendrement et je sens mon cœur défaillir lorsque je l'entends prononcer :
— Cette fois-ci c'est la bonne, Ra. Bruno vient d'obtenir les subventions. Prépare tes valises, un long périple nous attend !
Inutile d'ajouter quoi que ce soit. Nous avons parfaitement bien saisi l'information, ma mère et moi. J'ai pourtant du mal à l'accepter tellement elle me parait sur-réaliste. Toujours est-il que c'est enfin en train de se produire...
Je retourne en Égypte...
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Khapyphis
Science FictionÉgypte, 2020. Une petite équipe d'archéologues, guidée par l'intuition de Vera Perez - une jeune femme au passé trouble - fait une découverte extraordinaire qui pourrait mener l'humanité toute entière à une nouvelle aube... ou la conduire à sa pert...