Chapitre 14.1 - Vera

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J'étais partie pour faire évader Hori... Moi ! Du haut de mon petit mètre soixante-quatre...

Quelle sombre blague !

Au final, à peine se s'étaient-ils assurés que Hori ne voyait rien, qu'ils me menottaient à mon tour. « Par simple mesure de précaution», m'ont-ils marmonné. Je me demande si les interrogatoires en boucle, les tentatives d'intimidation par de nombreuses séances de menaces de torture et le package qui va avec (transport entièrement ligotée, bâillonnée et aveuglée, puis nuits, sanitaires et repas en cellule glauque, à même le sol en pierre atrocement rude) ne sont qu'une « mesure de précaution» également.

J'en doute.

Je dois être aussi douée dans l'art du mensonge qu'au tricot. Résultat des courses, je me retrouve ici. Seule. Dans le noir. Sans alliés. J'ignore ce que je vais finir par devenir. Mais je n'entrevois aucune issue.

Ma mère et Laure sont à Paris et ignorent tout de ce que je peux bien vivre ici. Mon père ne sait pas non plus que j'étais proche de lui. Miguel, Will et les autres n'ont pas la moindre possibilité de sortir, même s'ils avaient une idée de ma localisation. Et puis... Qui d'autre pourrait se soucier de la misérable petite existence de Vera Perez dans ce bas monde ?

C'est le karma. À force de ne pas supporter les gens... ils nous le rendent bien. C'est dans ce genre de moment-là qu'on s'en rend compte. Et qu'on regrette. C'est quand il est trop tard et qu'on a que ça à faire — penser —, qu'il ne nous reste que nos yeux pour pleurer.

Je dois pourtant m'estimer heureuse de vivre ce moment présent, là. Dans une cellule à peine éclairée. L'ancienne Vera n'aurait pas survécu à ça ! Par ailleurs, je préfère ma seule compagnie à la leur. Ces soldats... Et dire qu'à la base, l'armée a été créée pour protéger ses citoyens. Ce qu'ils me font subir lors de leurs interrogatoires est prodigieusement honteux. J'ai beau le leur répéter en boucle, ce n'est pas ce qu'ils veulent entendre, bien sûr !

Dans l'absolu, ils vendraient père et mère pour m'entendre leur révéler le ou les moyens d'accès à la cité, ainsi que leurs points forts et faibles, leur organisation, le descriptif de leurs armes et technologie, et j'en passe.

Ça fait je ne sais combien de jours que je m'évertue à leur répondre que je ne sais rien, que je ne suis qu'une pauvre petite archéologue à la recherche de son père et que j'étais leur prisonnière là-bas. Mais rien n'y fait. Ils sont persuadés que j'ai une aventure avec Hori et par conséquent, que je fraternise avec l'ennemi. Selon eux, j'étais trop bien traitée, trop bien habillée et nourrie pour être une prisonnière. Soit disant que j'ai passé assez de temps là-bas pour m'octroyer le luxe d'ignorer autant de choses concernant la cité.

Bon, même si tout ça repose sur un semblant de vérité, je ne mens pas lorsque j'affirme avoir été leur prisonnière. Et je n'ai jamais manqué de leur faire remarquer que chez l'ennemi, j'étais mieux traitée que par ma propre patrie. Qu'ils s'en tamponnent le coquillart ne m'étonne guère, ceci dit.

Toujours est-il que je ne leur ai rien révélé. Ils peuvent tout essayer. Mon père et des êtres chers sont en sécurité dans cette cité. Il est hors de question que je les mette en danger. L'ennui, c'est que je sais qu'ils essayeront tout. Et j'ignore ce que ce « tout » implique vraiment. Et je ne suis pas curieuse de le découvrir, étrangement.


— Vera ! me chuchote un soldat de l'autre côté de la grille de ma cellule.

Je sursaute, bien entendu. Les fourbes ne me prennent jamais par surprise, d'habitude. Je les entends venir à dix mètres au moins. Ce qui me donne le temps de sécher mes larmes et prendre une certaine contenance. Mais là, pas.

Génial ! De mieux en mieux !

J'ai à peine le temps de sécher mes yeux d'un revers de la main que...

— Vera ! insiste-il, impatient.

Il ne chuchote plus. Et je reconnais cette voix.

Comment pourrais-je l'oublier en même temps ? Cette voix me hante depuis que je l'ai livré aux ennemis censés être mes alliés.

Ce n'est que lorsque j'aperçois Hori face à moi que tout un tas de pensées en vrac se bousculent dans ma tête.

Petit un : que vient-il faire ici ?

Petit deux : que vient-il faire ici, seul ?

Petit trois : que vient-il faire ici, seul, alors que je l'ai trahi ?

Petit quatre : que vient-il faire ici, seul, alors que je l'ai trahi et qu'il affiche tout de même un sourire qui dans un autre monde pourrait être amical ?

Je n'ai qu'une explication. Il a réussi à fuir. C'était inévitable, ça ne me surprend guère. Je me demande juste pourquoi il a autant attendu pour le faire.

Et s'il n'a pas encore pris la poudre d'escampette, c'est à cause de moi. Bien sûr, il ne peut pas se permettre de me laisser ici à la merci de ces brutes — c'est brutes à l'affût des informations que je pourrais leur fournir.

Il vient donc pour m'éliminer.

Et je ne peux rien faire pour l'en empêcher. Je ne peux pas même lui en vouloir. C'est de bonne guerre. Il doit penser que je l'ai lâchement livré pour l'abandonner à son triste sort et pour avoir une chance de m'en sortir. Tous les faits vont dans ce sens, en tout cas, hélas.

L'avantage avec lui, c'est que je sais que ça sera rapide, net et sans bavure. Hori est prudent, loyal, respectueux mais en aucun cas revanchard. Il fera en sorte que je ne souffre pas et cette petite pensée me soulage quelque peu. Je préfère nettement ça à la torture qui m'attend ici s'il ne le fait pas.

Je l'observe examiner ma cellule comme si c'était la sienne qu'il cherchait à quitter au plus vite. Il me bredouille des choses, je crois. Mes oreilles bourdonnent. Je suis dans un état second. Probablement l'état dans lequel on se trouve lorsqu'on sent la mort approcher de très près.

Dès que Hori aura franchi cette grille, Vera Perez aura cessé d'exister.

KhapyphisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant