Chapitre 16.5 - Vera

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Mais non, il enchaîne en appelant quelqu'un d'autre. J'entends les prénoms de Djar et Kémès. Ça doit être l'un des deux. Ou les deux. Pour changer. Le ton est légèrement moins grave, mais il n'y a pas de place pour la plaisanterie tout de même.

— Lisa ? se met-il soudainement à brailler.

Elle met moins d'une minute à rappliquer.

— Mon ami Djar veut te toucher quelques mots à propos du trajet jusqu'à l'entrée de la cité.

— Euh... oui, d'accord, fait-elle quelque peu prise au dépourvu.

— Je te laisse avec lui.

Enfin une conversation en français !

— Oui, elle acquiesce.

Puis elle enchaîne des : « Non, je prendrais plutôt par la rue .... puis par la plaine ... et ... » ainsi que des « Ah bon ? », « oh ! », « mais pourquoi ça ? », « Vera est au courant ? »

NON, VERA N'EST PAS AU COURANT !!!

J'en ai marre de ne jamais être au courant. Mais je crois que la cerise sur le gâteau, c'est lorsqu'elle sort :

— Ne me demandez pas de cacher quelque chose d'aussi capital à ma fille, encore. Elle se remet à peine du fait que j'ai dû lui cacher la vérité pendant six ans.

Puis :

— Je ne vois pas ce que ça change pour vous si on la tient au courant ou pas. Hori est d'accord avec moi. Elle a le droit de savoir quel rôle elle doit jouer dans cette histoire. Elle s'y préparerait bien mieux en plus !

Mais me préparer à quoi BORDEL ??? j'explose en ayant un mal fou à me contenir dans ce dressing étriqué qui pue le renfermé.

— Bon, d'accord, achève-t-elle sans grande conviction. Mais vous vous expliquerez avec elle quand ça se produira. A très vite, oui. Oui.

Je bouillonne. Mais je suis forcée d'attendre que ma mère sorte de sa chambre.

J'entends enfin l'ouverture de la porte.

— Vera est avec toi ? demande Hori.

Fausse joie. Les voilà derechef tous les deux dans cette maudite chambre. Et pendant que je me prépare mentalement à finir mes jours, en peignoir, dans ce fichu dressing, j'entends ma mère dire :

— Non, et je me demande si j'aurais le cran de la regarder en face, encore.

— Oh... Djar t'en a parlé alors...

— J'aurais préféré qu'il ne me dise rien si c'est pour le cacher à ma fille.

— Je comprends, soupire Hori. Mais d'après ce que les tests ont révélé, Vera serait encline à des réactions excessives, parfois. On ne peut jamais prévoir ses actes à l'avance. Je le sais assez pour l'avoir vécu plus d'une fois, hélas. Ce qui m'oblige à partager l'opinion d'Ounamon. Vera ne doit strictement rien savoir de nos plans avant notre retour dans la cité.

Le traître ! Je lui adresse une série d'injures en boucle dans ma tête lorsqu'il enchaîne très bas (sûrement car ma mère doit avoir fait sa mauvaise tête de désapprobation) :

— Lisa... Sincèrement, comment crois-tu qu'elle réagirait si elle apprenait que nous sommes sur le point de quitter la terre pour toujours ? Qu'elle soit en famille penchera favorablement dans la balance, mais je doute qu'elle accepte de laisser les Rastwys à leur sort. On a pas su déterminer si elle était attachée à d'autres personnes que vous. C'est la raison pour laquelle on ne doit pas lui dire. Alors que pour toi, c'est évident.

— Pas si évident que ça, proteste ma mère. Mon mari et ma fille sont mes raisons de vivre, cela ne signifie pas que les autres n'ont aucune importance pour moi. J'ai de nombreux amis, des collègues, des...

— Mais tu es venu ici en connaissant les enjeux. Ce qui implique que tu es prête à tout abandonner derrière toi. Concernant Vera, nous n'en sommes pas sûr.

— Mais voyons c'est grotesque. Et puis même si elle refusait, elle a le droit d'avoir le choix.

— Tu es en train de suggérer l'hypothèse que Vera reste ici ? s'offusque Hori.

— Bien sûr que non. Mais si elle décide de nous suivre, ça sera son choix. C'est important.

— Ce débat est sans fin, Lisa. Que feras-tu si ta fille unique décide de rester pour ses amis, son petit ami ou je ne sais qui encore ? C'est là que tu regretteras bien de lui en avoir parlé contre les ordres.

Contre toute attente, ma mère explose de rire et lui lance l'air de rien :

— Tu sais faire dans la subtilité pour savoir si Vera a un petit ami ! Fallait pas te donner tant de mal, mon petit. Vera ne tient véritablement qu'à une seule Rastwy. Sa meilleure amie : Laure. Elle est encore à Paris. Et si tu veux mon avis, Vera n'acceptera pas de partir sans elle.

— Tu sais bien qu'on n'acceptera jamais d'accueillir une autre Rastwy.

— Je te donnais simplement mon avis. C'est pas comme si j'avais mon mot à dire de toute façon. Moi je me contente de subir, bien plus que de suivre, les ordres. Comme toujours.

J'ai une boule dans la gorge. Je ne sais pas comment encaisser tout ce flot d'informations. A priori ils seraient sur le point de... quitter la terre ?

MAIS C'EST QUOI CE BORDEL ?

Quelqu'un m'explique comment ils comptent s'y prendre ? Et dans quel but ?

Tout ceci sonne comme une mauvaise blague. Ils savent que je suis cachée dans le placard et vont ouvrir d'une minute à l'autre en criant « on t'a bien eue ! »

C'est en tout cas ce qui me semblerait l'explication la plus logique.

— Bon, reprend Hori. Je suis navré de te dire ça Lisa, mais on va s'en tenir au plan initial.

— Je sais, conclu ma mère d'un ton acide.

Puis ils quittent tous les deux la pièce.

Je commence à peine à saisir l'ampleur de ce qui se trame.

Ils vont vraiment partir d'ici. Peu importe où, comment, pourquoi... Ils vont partir. Et je suis censée les suivre. Je vais même y être contrainte, d'après ce que j'ai compris. Ce qui implique quelque chose de primordial pour moi. Ma mère me connaît comme si elle m'avait faite, dis donc.

Je vais chercher Laure. Elle est comme ma soeur. Elle a été là pour moi dans les moments difficiles. Et il n'est pas question que je parte sans elle.

Je trouve des habits à enfiler rapidement dans ce dressing (il fallait bien qu'il finisse par me servir à quelque chose, celui-là). Je range l'holophone dans la poche de mon pantalon, trouve le chargeur dans la commode en sortant de ma cachette, et je sors de la maison par la fenêtre.

Avec cet holophone, je n'ai besoin de rien d'autre pour faire venir Laure ici en vitesse.

Quand je pense qu'il m'a fallu avoir vingt ans pour faire le mur... Mais si j'étais restée, on m'aurait empêché d'agir.

Alors voilà.

J'agis.

KhapyphisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant