Chapitre 8.3 - Vera

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Sans transition, Djar attaque Hori avec une sorte d'épée dorée. Ce dernier l'esquive avec brio en faisant une roulade sur le côté pour attraper quelque chose. Tout se passe tellement vite qu'il m'est difficile de discerner le genre d'arme utilisé. À un moment, il me semble même qu'une des épées a changé de forme plusieurs fois. J'ai réellement l'impression d'être face à un film de science-fiction. Je m'attends à une liste interminable de « cast and crew » dans la rubrique « effets spéciaux ». Et ceci, après la séquence où Laure arrive avec une équipe de caméra cachée pour se moquer de ma crédulité naturelle. « Tu as vraiment cru à toute cette histoire de citée cachée Vera ? Quelle nouille ! Vraiment prête à tout pour justifier la non-mort de ton père dis donc ! ».

Il n'empêche que cette théorie serait moins hallucinante que cette pseudo vérité, là, juste sous mes yeux... Ces deux zigotos qui s'envoient des tas de trucs dessus, bougent dans tous les sens, font des pirouettes, des sauts, des grands gestes rapides. Il s'agirait d'une chorégraphie, la synchronisation serait parfaite. Je suis subjuguée. Radicalement.

Si leur intention ici était de me faire une démonstration de force et rapidité pour me désinciter de partir en douce... l'objectif est atteint. Je ne fais clairement pas le poids.

Je dois trouver un autre moyen.


Ces deux athlètes sont inépuisables. J'ignore combien (d'heures) de temps je les ai observés avec attention, mais c'est tout de même passé vite. Et lorsque je crois que l'entraînement touche à sa fin, Hori me tend cette espèce d'arme bizarre et ajoute :

— Tu veux essayer un peu ?

Comme ça n'a pas l'air de plaire à Kémès, j'accepte volontiers. Quand j'approche, je me rend compte que l'arme en question a tout l'air d'un khépesh. Une arme tout ce qu'il y a de plus classique pour des égyptiens. Je suis intriguée et Hori le relève tout de suite avec un petit sourire satisfait :

— Cette arme ne t'est pas tout à fait étrangère, n'est-ce pas ?

— On dirait un khépesh, mais...

— ... mais tu l'as vu changer de forme et tu te demandes si tu n'as pas mal interprété ce que tu as observé, prédit-il sans ciller. Eh bien Vera, tu as effectivement un khépesh devant toi, mais un khépesh dernière génération. Tu imagines bien qu'on a eu le temps d'évoluer depuis l'antiquité. Cette arme en est l'une des preuves.

Il joint le geste à la parole, et en un clin d'œil, le khépesh s'allonge et se tord pour se figer en forme de javelot. Prodigieux ! Ma réaction extirpe un petit gloussement chez Hori. Il enchaîne :

— Ces khépeshs ont été perfectionnés depuis bon nombre de siècles, tu sais. Ils réagissent à nos pensées. Cela nécessite pas mal d'entraînement, tu te doutes bien.

— Laisse-moi deviner, raille Djar à moitié en train de sécher son visage couvert de sueur. Ta prochaine question sera « est-ce que les Rastwys peuvent s'en servir ? », pas vrai ?

Et il éclate de rire. Et je me tais. Il a visé dans le mille.

— Bien sûr que oui, répond Hori comme si de rien n'était. Ces khépeshs ont été créés pour réagir aux pensées humaines. La seule chose, c'est que les Rastwys manquent cruellement de discipline. Nous, nous sommes conditionnés depuis notre naissance à assumer le rôle qui nous est commis d'office. Ça inclut notre façon de penser. C'est donc plus simple pour nous, crois-moi.

— Tu veux dire que vous avez été programmés pour devenir soldats depuis votre naissance ? je demande stupéfaite.

Derechef le petit sourire en coin de Hori apparaît :

— Nous n'avons pas été « programmés », nous ne sommes pas des machines. Toutefois, il est vrai que nous sommes destinés à la garde d'élite depuis l'âge de six ans, Djar et moi, par exemple. C'est tout un système finement étudié qui régit les vocations de chacun. L'une de nos grandes fiertés !

— Alors pourquoi m'avoir proposé d'essayer le khépesh si tu savais que je ne suis pas assez « conditionnée » ou je ne sais quoi pour ça ?

— « Disciplinée », me corrige-t-il. Car la discipline, ça s'apprend. Ça met juste un peu de temps.

— Dois-je en déduire par-là que tu comptes me retenir ici... un certain temps ?

— Stop les questions ! se défile Hori en me lançant son khépesh (que je rattrape maladroitement). Un peu d'action !

En gros, il vient de confirmer mes craintes. Je ne suis pas prête de sortir de là. Et comme il lit incroyablement bien en moi depuis le début, il tempère :

— On va faire un deal tous les deux. Dans la mesure où je suis tenu de vous garder toi et mon khépesh sous surveillance, tu peux t'entraîner avec tant que tu veux. Et comme il existe plus d'une centaine de métamorphoses possibles avec un khépesh, tu auras le droit à une question, puis une réponse honnête de ma part, après chaque nouvelle forme réalisée. Deal ?

S'il me propose ça aussi facilement, c'est qu'il doit être persuadé que je n'y arriverai pas du tout. Je prends ça comme un double défi, du coup. Il connaît les Rastwys, mais il ne me connaît pas moi. Moi, Vera Perez. L'entêtement incarné.

— Une nouvelle forme avec le khépesh, une question, une réponse honnête. J'ai le droit à n'importe quelle question, n'est-ce pas ? je m'assure.

Hori opine du chef.

— Deal ! je déclare haut et fort en le défiant du regard.


Ce salopard de Hori ne me laisse pas une minute à moi pour m'entraîner avec mon nouveau défi. Il le fait exprès, c'est certain. Il a dû voir une lueur de potentiel en moi qui l'a effrayé. Ce qui signifie qu'il ne tient absolument pas à répondre à mes questions. Mais je n'ai pas dit mon dernier mot.

Djar et Kémès sont partis de leur côté. Dès lors, je suis gentiment Hori partout. C'est ce qu'on attend de moi ici. Que je sois docile.

Se taire et observer. Juste admirer les alentours en silence a des vertus, cette cité m'impressionne de plus en plus. Je suis sous le charme, je dois bien l'avouer. Les infrastructures ne sont pas très colorées, certes, mais le soleil illumine l'ensemble de façon remarquable. Tout a été construit en fonction de l'énergie solaire, c'est on ne peut plus évident.

Je suis étonnée par la présence de verdure et points d'eau. On a dû survoler au moins cinq parcs et trois lacs depuis le début de la journée. J'ignore s'il s'agissait des mêmes ou pas. J'ai encore beaucoup de mal à quantifier l'étendue de la cité. Je sais seulement qu'elle est gigantesque. Assez pour m'intriguer à propos de leur existence tenue secrète durant autant d'années.

Qu'elle ne soit pas visitée par les Rastwys, je le concède. Elle reste très bien camouflée, enfouie sous le paysage désertique égyptien. Et les habitants dépensent beaucoup d'énergie pour la tenir le plus à l'écart possible de toute autre civilisation. Que nous soyons tous retenus prisonniers ici en est un exemple.

En revanche, ce que je ne parviens pas à comprendre, c'est comment ils font pour que nos satellites ne les repèrent pas non plus. Ils doivent probablement utiliser des brouilleurs hautement perfectionnés. C'est d'ailleurs à cause de l'un de ces brouilleurs que nous sommes ici, si je me souviens bien. Leur technologie doit être extrêmement puissante pour arriver à brouiller un lecteur mp3 et faire disparaître toute une cité aux yeux des Rastwys.

Voilà que tu te mets à parler de tes semblables comme eux, Vera. Tu fais fort au bout d'un jour seulement !

KhapyphisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant