Un quart d'heure.
Une demi-heure.
Une heure.
Une heure trois. Quatre. Huit...
J'ai failli attendre ! Moi qui suis la patience incarnée !
Ne rien pouvoir faire, être prisonnière d'un pseudo geôlier et devoir attendre...
Le karma doit exister. Je n'aurais jamais dû mettre Lisa Perez sous somnifères pour me permettre de fouiller dans ses archives personnelles. Deux fois. Bon, d'accord... Sept fois. Par mois, en moyenne. Mais c'était pour la bonne cause. C'est du moins de ce que je voulais me convaincre. Au lieu de quoi, ces recherches m'ont mené ici. Dans cette situation des plus cocasses.
Résultat des courses : toujours aucune trace de mon père. Et plus j'avance dans le temps et dans mes recherches, plus j'ai l'impression de m'enliser dans des sables mouvants venimeux. Reste à savoir ce qui m'attend au fond du fond. Je doute y trouver quelqu'un d'autre que la grande faucheuse. Mais qui sait ?
Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir.
Cet espoir se matérialise par l'apparition inespérée de mon geôlier officiel. J'étais bien partie pour m'en réjouir, mais étant donné la tête de six pieds de long que tire Hori, l'humeur maussade est contagieuse.
Pour changer, il ne décroche pas un mot. Je suis censée le suivre, en silence, sans broncher.
Enfin bref, c'est ce que je suis censée faire...
— Bon alors c'est quoi le programme, au juste ? On va où ? On est supposés faire quoi ? Et puis qu'est ce qui vient de se passer ? Ça a l'air grave, docteur !
Si l'humour n'a même plus aucun effet, je désespère... Mais ça ne m'empêche pas de poursuivre mon interrogatoire :
— On devrait commencer à instaurer une transparence quasi intégrale entre nous, puisqu'on est visiblement amenés à se côtoyer non-stop. Donc, moi je dis qu'on pourrait se faire confiance. Mais pour ça, on devrait commencer par tout se dire. Absolument tout.
Aucune réaction chez Hori. Le contraire m'aurait étonné. Je le suis cependant à travers des ruelles encore jamais pratiquées. Et je ne lâche pas :
— Je prends ton silence comme une acceptation de ta part. Alors puisque c'est moi qui ai proposé de lancer cette toute nouvelle opération, il est tout naturel que je me lance en premier.
Aucune objection. Je parlerais à un mur, ça reviendrait strictement à la même chose.
— Alors... Qu'ai-je fabriqué pendant TOUT LE TEMPS où vous étiez en réunion, ou je ne sais pas trop quoi ? Eh bien, tu serais surpris ! J'ai fait des choses extrêmement... ennuyeuses. À savoir : rien. Mais je veux dire... vraiment rien. Enfin non, pas tout à fait. Je me suis quand même inquiétée. J'ai ruminé un bon nombre de fois. Pesté contre toi et tous tes semblables. Oui, ça, j'ai fait. Et puis quoi d'autre encore... Ah, oui ! Rien. Et toi tu sors, comme si de rien n'était. Et puis quoi ? Eh bien rien. Pas un mot. Rien. Et je commence sérieusement à en avoir ras le bol ! Mais du genre vraiment !
Toujours rien.
L'imagination vient à me manquer, là. Ainsi, monsieur ne veut pas parler ? Je me demande jusqu'à quel point...
— Okay, je soupire en feintant un air résigné. Tu ne me diras rien de chez rien. Parfait. Je comprends. Après tout, rien ni personne ne t'impose de dire quoi que ce soit à ta prisonnière.
Hori ralentit la cadence en jetant quelques regards inquisiteurs dans ma direction. Il doit sentir le roussi. Il me connaît décidément très bien, ce garçon ! Ce qui ne m'empêche pas de poursuivre dans mon élan :
— Mais au fond... Rien ni personne ne m'impose de suivre mon geôlier, finalement. Tes supérieurs ne sont en aucun cas les miens. Et je pense avoir mérité ma liberté.
Je continue à le suivre comme si de rien n'était. Mais la fréquence des regards chargés de désapprobation à mon égard a sensiblement augmenté. Je remarque à la posture de Hori et à sa démarche qu'il se tient prêt à intervenir au moindre geste de travers de ma part. Si j'attendais le moment opportun pour lui fausser compagnie et le semer, ça ne serait en aucun cas celui-là. Je le sais. Il le sait. Nous le savons. Et pourtant...
Je fais encore trois pas minuscules vers lui avant de subitement prendre la poudre d'escampette dans l'autre sens.
J'étais très douée en sprint durant l'adolescence. Mon petit gabarit jouant un rôle crucial sur ma vitesse. Mais qui dit «petit gabarit», dit aussi «petites jambes», «petites enjambées» et fatalement... «petites chances» de distancer un garde d'élite de Khapyphis entrainé de naissance à chasser du Rastwy.
Je suis cuite.
Je crois— en exagérant bien pour ne pas perdre complètement ma fierté— avoir fait quatre pas et demi, avant qu'il ne me plaque brusquement contre un mur. Je ne suis pas surprise de lire de la colère dans son regard. Cependant il y a autre chose. De l'angoisse ? De l'inquiétude ? Je n'arrive pas vraiment à me concentrer dessus tellement il me comprime contre ce satané mur. Je me débats tant que je peux. Peine perdue.
— Si tu ne me lâches pas, je vais crier tellement f...
Voilà qu'il fait taire mes dernières menaces en écrasant sa main sur ma bouche. Si elle n'était pas aussi imposante et puissante, j'aurais tenté une morsure. Un truc débile dans le genre. Mais son regard hypnotique achève toutes mes pensées rebelles.
— Vera..., finit-il par me murmurer.
Même si j'ai la désagréable impression qu'on est sur écoute, je me réjouis du fait qu'Hori va ENFIN me parler.
— Pourquoi faut-il toujours que tu compliques les choses ? Tu ne peux pas juste te contenter de me suivre en sil...
Il s'interrompt. Puis poursuit :
— Tu ne te rends pas compte de la gravité de la situation. Depuis votre arrivée... Enfin, ça a bousculé tous nos plans. Le temps est notre pire ennemi. Alors par pitié Vera, cesse de faire l'enfant et arrête avec toutes ces questions. Je ne PEUX PAS te répondre. C'est comme ça. Maintenant tu vas me faire le plaisir de me suivre. C'est vraiment très important. D'accord ?
Et puis quoi encore ? C'est l'explication la plus irrecevable qu'il pouvait me fournir. Non seulement je ne suis pas plus avancée, mais pour couronner le tout, voilà qu'il me traite comme si j'étais une petite gamine capricieuse irresponsable. Et il attend sérieusement une réponse de ma part ? Je me demande à quel point la situation est grave pour lui avoir fait perdre la tête à ce point.
Toujours est-il qu'il desserre à peine sa main que je me mets déjà à brailler :
— Et comment veux-tu que je me rende compte de la gravité de la situation si tu ne me dis rien, l'expert ?
Il va pour replacer sa main contre ma bouche mais je crie d'autant plus fort :
— Tu devrais avoir honte de la façon dont tu me traites, Hori ! Si tu crois que c'est comme ça que tu vas parvenir à me rendre docile, tu te mets le doigt dans...
Ce n'est plus sa main qui me fait taire mais... mais... Le temps que je réalise qu'il s'agit de ses lèvres, je puise un regain d'énergie de je ne sais où pour lui flanquer une gifle à m'en détruire la main gauche.
Et je file à toute allure.
Où ? Aucune idée. Ma principale préoccupation est de comprendre. Que vient-il de se passer au juste ? Non, il ne s'agissait pas d'un baiser. Étant donné la violence du geste, c'était bel et bien pour me faire taire. Ou peut-être pensait-il pouvoir m'amadouer plus facilement ainsi...
Dans tous les cas, il m'a laissé fuir. Soit il est certain de me trouver sans problème et attend que je me calme dans mon coin, soit il est encore en train de se demander ce qui a bien pu lui prendre. Ou peut-être les deux. Après tout, il a deux avantages sur moi : sa condition physique et la parfaite connaissance du terrain.
Il ne me reste plus qu'à trouver une foule, et me fondre dans la masse. J'aurais plus de chance de trouver mon père ainsi. Libre.

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Khapyphis
Science FictionÉgypte, 2020. Une petite équipe d'archéologues, guidée par l'intuition de Vera Perez - une jeune femme au passé trouble - fait une découverte extraordinaire qui pourrait mener l'humanité toute entière à une nouvelle aube... ou la conduire à sa pert...