Chapitre 19.3 - Vera

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Il ne faut pas moins de dix secondes pour entendre les radars de l'appareil s'affoler. Mais ce n'est rien comparé à l'angoisse qui me pétrifie comme jamais.

— Trois missiles ? C'est limite vexant ! se plaint Kémès vraisemblablement contrariée par le comité d'accueil.

— Je t'avais prévenu ! je déplore en priant pour que le sang froid de mes deux escortes soit justifié dans pareille situation.

Et la collision a lieu maintenant. Enfin... d'après les radars ça devrait être le cas.

Soit les missiles se sont volatilisés par miracle, soit l'engin dans lequel nous sommes a résisté à l'attaque sans la moindre égratignure, ou bien - l'hypothèse la plus plausible selon moi - nous sommes tous morts.

— Tout va bien Vera, me rassure Hori en me passant la main dans le dos.

Ce contact chaleureux me ramène à la réalité. J'ai dû fermer les yeux sous le coup de la peur entre temps. Si nous sommes morts, la mort ressemble à notre réalité. C'est à la fois stupéfiant et angoissant.

— Six missiles maintenant ? s'exclame Kémès. Déception !

— Tu ne devrais pas descendre aussi bas, Kémès, désapprouve Hori.

— Et la tour Eiffel alors ? Tant qu'on est là, ça serait bête de louper ça. Des occasions comme ça, on en aura plus jamais.

— Peut-être, mais les débris des missiles pourraient faire de sérieux dégâts sur la ville en aussi basse altitude. Pense à tous ces Rastwys qui errent dans les rues !

— A qui la faute ? se défend Kémès. C'est pas moi qui lance ces missiles ! Et puis les Rastwys ne sont pas en sécurité tout court, au vue de ce qui les attend sur cette fichue planète.

— Kémès, la réprimande Hori d'un ton qui rend toute forme de résistance impossible.

Et nous reprenons de l'altitude.

— Pff, soupire la pilote frustrée. Tu m'en dois au moins trente mille jusqu'à la fin de tes jours pour tout ce que tu me fais subir aujourd'hui, mon cher Hori !

— Concentre-toi sur l'objectif s'il te plaît. On doit faire ça proprement et rapidement.

— Non mais ils tiennent réellement à me vexer, c'est ça ? reprend Kémès hors d'elle.

Je scrute furtivement le radar, je relève une dizaine de missiles avant d'en avoir le tournis. Ce qui me rappelle que je ne sais pas non plus ce que sont devenus les six derniers.

Ainsi, Kémès déplorait le fait que les Rastwys sous-estime la technologie de Khapy, et non pas le simple fait qu'ils nous tirent dessus. C'est officiel... Cette fille est complètement cinglée ! Mais une cinglée qui, je dois bien l'avouer, a le sens de l'honneur et reste une pilote relativement admirable.

Je ressens une petite secousse cette fois-ci. Le radar indique que nous venons d'être touchés.

— Ils finiront par nous abattre, je m'inquiète tout bas.

Mais suffisamment fort à en juger par la réaction de Kémès. Je crois bien que c'est la première fois que je l'entends rire.

— Rien sur cette terre ne peut détruire un Haw, m'explique gentiment Hori. Fais nous confiance.

Cette machine s'appelle donc un « Haw ». Effectivement, ce nom est inscrit à divers endroits en nouvaux hiéroglyphes sur le cockpit. Je me fais la remarque que je sais de mieux en mieux les déchiffrer et m'en félicite intérieurement. Cette brève diversion est bienvenue. J'avais besoin de ça pour descendre en pression. Certainement pas de ce qui suit :

— Objectif dans trente-cinq secondes, annonce solennellement Kémès. Accrochez-vous, je vais descendre brusquement. Préparez-vous à sauter dans vingt-huit secondes top chrono !

Pas le temps d'analyser ce que tout cela implique que Hori m'a déjà embarqué à l'arrière du Haw. Il m'équipe d'une sorte de harnais. Encore un truc sophistiqué bien de chez eux. Il s'équipe à son tour en un clin d'œil.

Tout se passe comme au ralenti. J'ai juste décidé de laisser mon cerveau de côté, ne me sentant pas capable de faire autrement que suivre Hori les yeux quasiment fermés.

Il me marmonne des trucs. Je crois. Je ne sais pas trop. Je ne sais plus rien.

La porte du Haw s'ouvre. J'aperçois un toit. Puis un symbole. Une sorte de croix blanche sur un sol gris.

Ce symbole s'agrandit de plus en plus.

Je comprends que nous sommes dans les airs.

Nous avons sauté de l'avion.

Quelque chose amorti ma chute. Le harnais ? Hori ? J'ignore à peu près tout. Je sais juste que je suis bien à « terre », sur ce toit. Et que je ne ressens aucune douleur.


Hori me saisit par la main et m'incite à courir à sa suite. Chose que je fais sans trop réfléchir.

Nous pénétrons dans une cage d'escalier. Escaliers que nous déboulons en un temps record.

— Nous ne vous voulons aucun mal ! énonce bravement Hori.

Ce n'est qu'à cet instant précis que je prends conscience de la situation. Les gens ont effectué un périmètre de sécurité assez incroyable autour de nous. Nous sommes à leur yeux une menace des plus imminentes.

— Nous cherchons simplement une jeune femme qui travaille ici. Est-ce que quelqu'un pourrait nous indiquer où se trouve Laure ?

Évidemment, personne ne répond à Hori. Leur regard pétrifié m'encourage à prendre la parole :

— Excusez-nous pour cette intrusion étrange, mais nous cherchons ma meilleure amie, Laure Vivier. Elle est infirmière ici. On a besoin d'elle pour une urgence ! Nous ne sommes pas armés vous voyez bien ! Par pitié aidez-nous à la trouver au plus vite !

Hori n'attend pas que quelqu'un daigne réagir et prend les choses en main. Comme toujours. Il me saisit la main derechef et nous déambulons à travers divers couloirs à la recherche de Laure.

Cet hôpital est une véritable fourmilière. Autant trouver une aiguille dans un amas de plusieurs bottes de foin. Et d'orties !

Il me faut un holophone !

Impossible d'emprunter le téléphone de qui que ce soit. Tout le monde nous fuit comme si nous étions des terroristes en plein chaos. L'alarme qui retentit dans tout le bâtiment n'aidant pas... Les agents de sécurité non plus.

Je me dis que tant que Hori ne sort pas son khépesh, nous ne craignons rien. Donc tant qu'il continue à me tenir la main, tout se passera bien.

Nous arrivons à l'embranchement entre plusieurs services. Comment savoir dans lequel Laure se trouverait ? En tant qu'élève, elle change régulièrement de service. Hori m'interroge du regard. Pour une fois, il compte sur moi, et je ne suis pas capable d'apporter la moindre solution. Il faut cependant agir très vite.

J'attire Hori vers le service maternité. Il y a peu de chance qu'on y trouve Laure mais au moins, personne ne tentera quoi que ce soit contre nous en présence de nourrissons. Et les mamans restant, normalement, clouées à leur lit, seraient en mesure de me prêter un téléphone portable.

Bien sûr, tout ceci ne reste que des hypothèses. Des hypothèses qui s'effondrent lorsque nous nous trouvons dans une impasse. Les portes qui nous permettent d'accéder au service complet sont verrouillées. Et nous sommes déjà encerclés par l'issue d'où nous venons.

Hori me lâche la main.

Je sais ce que cela signifie. 

KhapyphisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant