Bon, tout ça, ce sont de beaux discours... Je franchis tout juste la porte qui mène au grand air pollué parisien, que la culpabilité m'assaillit déjà. Pas envers la psychologue, bien sûr, mais envers ma mère. Elle va encore... Oh et puis zut !
Par réflexe, j'attrape cette petite merveille technologique qu'est mon holophone (pour les vieux incultes : mon téléphone portable dernière génération) : mon meilleur allié contre les pensées parasites. Je fais à peine trois pas sur le trottoir que j'ai déjà lancé l'appel vers ma deuxième meilleure diversion : Laure.
Il est 11h17, elle est censée encore dormir.
Voilà une chose que j'apprécie particulièrement chez ma colocataire : elle se tient toujours disponible malgré ses horaires de garde farfelus (elle est étudiante infirmière). Elle se serait couchée à six heures du matin, je ne l'aurais probablement pas dérangée (quoique je ne parierais pas non plus là-dessus), mais je l'ai entendu rentrer vers cinq heures. Elle a donc eu un peu plus de six heures de sommeil. Je n'ai aucun scrupule à l'entendre décrocher et déclarer d'une voix rauque :
— T'es pas censée être avec Maléfique ?
Ce qu'il y a de génial avec Laure, aussi, c'est que je n'ai même plus besoin de fournir l'effort de parler. On se connaît tellement bien — après seulement deux ans de collocation —, que je ne cherche même plus à outrepasser ma nature silencieuse. Quelle que soit la situation, surtout en pleine rue, j'y vais toujours à l'économie de mot. C'est pour cette raison que Laure enchaîne rapidement d'un faux air offusqué :
— Non ! Ne me dis pas que tu... (elle marque une pause, soupire et enchaîne : ) Ta mère est au courant ?
— Je suis toujours en vie, je réponds.
Traduction : « non ».
— Ah non, je te vois venir. Compte pas sur moi pour jouer les médiatrices ou je ne sais quoi encore, hein. T'avais qu'à pas jeter Maléfique. C'était son rôle, pas le mien.
C'était prévisible. Ce n'est pas comme si je m'attendais à un miracle de la part de Laure, non plus. Pourtant, au fond, c'est ce que j'espérais. Qu'elle subisse le courroux de ma mère à ma place, sachant pertinemment qu'elle aurait droit à une version nettement plus adoucie.
Je traverse la rue piétonne et me dirige machinalement vers mon endroit préféré (pour ne pas dire le seul que je supporte) à Paris. Je garde le silence volontairement, dans l'espoir que mon amie culpabilise et revienne sur ses positions. Ce n'est pas le cas, bien sûr.
— Tu auras ma mort sur la conscience. Tant pis ! je finis par répliquer, faussement désabusée.
— Dans ce cas, si elle t'intercepte avant ton retour à l'appart', sache que tu es et resteras la meilleure amie asociale la plus extraordinaire à mes yeux. Toi, tes passions morbides, tes plats végés ignobles et ton caractère épouvantable, me manqueront à jamais.
D'accord, je ne suis pas très loquace, mais il y a des choses que je ne peux tout naturellement pas laisser passer. Ça va à l'encontre de mes principes. Qu'elle me traite d'asociale, de fille à caractère épouvantable, passons. Ce n'est pas comme si elle avait tort de toute façon. Et puis j'assume. En revanche, en ce qui concerne mes passions...
— Il y a prescription dans l'échelle de morbidité quand le cadavre a plusieurs siècles, je lui rappelle sereinement. J'avais déjà obtenu gain de cause à ce sujet, je te signale.
— Ah parce que tu as souvenir d'une fois où tu m'aurais laissé le dernier mot, peut-être ? raille-t-elle sans m'épargner ses petits ricanements habituels. En attendant, passion morbide ou pas, c'est de ton cadavre dont il est question, ma chère. Règle ça avec ton spécimen de...
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Khapyphis
Science FictionÉgypte, 2020. Une petite équipe d'archéologues, guidée par l'intuition de Vera Perez - une jeune femme au passé trouble - fait une découverte extraordinaire qui pourrait mener l'humanité toute entière à une nouvelle aube... ou la conduire à sa pert...