Chapitre 10.2 - Hori

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Nous nous retrouvons dans le salon après avoir mangé. Selon mes estimations, Vera va encore roupiller un bon moment, nous laissant du temps pour discuter tranquillement.

— Donc... Tu penses que Vera et sa famille, ou en tout cas ses parents, seraient déjà venus à Khapyphis, que son père y serait encore, et que tous trois ont quelque chose de spécial qui fait que Vera est sous ta surveillance au lieu de se trouver avec les autres, résume Djar.

— En gros, c'est ça, j'acquiesce. Je veux dire, que son père soit ici... Oui, les Rastwys ayant actuellement une connaissance ou un parent à Khapyphis doivent se compter sur les doigts de la main, mais ça ne justifie pas le fait que Vera soit traitée comme un cas spécial. Qu'elle soit avec le reste de son groupe ou avec moi, dans les deux cas elle aurait peu de chance de faire quoi que ce soit afin de voir ou libérer son père.

— Elle sait vraiment qu'il est ici ? demande Kémès.

— Est-il vraiment ici ? On ne le sait même pas nous. Qu'il soit venu ici, c'est sûr et elle a trop de preuves pour qu'on puisse démentir. Qu'il soit encore en vie, ou qu'il n'ait pas été effacé et remis en liberté, on ne peut probablement pas le prouver.

— C'est vrai que les infos sont...

— Cachées ? suggère Djar.

— Elles ne sont surtout pas tellement de notre ressort. Je pense que ça oscille entre des informations confidentielles et des infos... sensibles.

— Ouais, j'approuve. Et du coup, personne ne nous a mis au courant.

— Je pense que peu de monde est au courant, pour commencer. Et ensuite —en fait, c'est vrai — il est où l'intérêt de nous le dire ?

— Moi j'aimerais savoir, fait Djar. Vera semble être assez importante pour être mise à part, son père était— ou est encore— ici, et ils lui font même passer une sorte de test, dont je n'ai pas compris l'utilité, afin de déterminer si elle peut être utile ?

— Le test ne rimait à rien. J'ai l'impression que quelqu'un complique une situation pourtant sensée être simple.

— À savoir ? demande Kémès.

— On récupère des Rastwys ici. Soit on les efface et ils sont libres, soit on les garde. Qu'ils aient avertis leurs commanditaires ne change rien. Ensuite, si Khapyphis est localisée, et notre secret percé à jour comme c'est probablement le cas, à quoi ils nous servent, les prisonniers ? On devrait faire comme prévu, soit on calme le jeu, on fait comprendre aux Rastwys qu'ils ont intérêt à rester sages, et pendant ce temps on cherche une solution, soit...

— Soit on se tire, complète Djar.

— Exactement.

Un silence s'ensuit, que Kémès rompt après une dizaine de secondes :

— Ça paraît simple, comme ça. Mais je suis sûre qu'il y a autre chose.

— Le truc, c'est de savoir quoi, je soupire.

— Ouais, fait Djar, mais ce serait quand même un peu trop facile si on pouvait, nous, le deviner, hein...

— Non, attends, le coupe Kémès. Il ne doit pas y avoir énormément de choses qui pourraient pousser notre gouvernement à prendre des risques, à ne pas suivre le chemin le plus logique.

— Tu vas chercher loin, quand même, je fais remarquer. Et ces choses seraient ?

— Euh...

Elle s'interrompt, puis reprend, à voix basse, quasiment sur le ton de la confidence :

— Eh bien, d'abord, l'empathie. J'imagine que quitter cette planète, en la laissant dans l'état dans lequel elle est, doit faire mal à plus d'une personne. Je pense qu'ils ont cherché, et cherchent toujours, à partager une partie infime mais nécessaire de notre technologie aux Rastwys, afin que ceux-ci règlent une fois pour toute certains problèmes de base de leurs sociétés gangrenées.

Je hoche la tête, pas convaincu :

— Nan... Je suis sûr que les Rastwys sont capables de convertir n'importe quoi en arme. Même du jus de fruits.

— Justement, idiot. C'est donc pour ça que ce serait important. Ils doivent faire bien gaffe à ce qu'ils lèguent et à qui.

— Mouais... et les autres raisons ?

— Imagine un instant... Imagine, que malgré toute notre avance technologique, que malgré le fait que nous ayons posé le pied sur la lune des siècles avant les Rastwys, malgré tout ce que nous sommes, nous ayons besoin d'eux.

J'interromps Kémès d'un signe de la main, puis je la regarde fixement, d'un regard dénué d'intelligence, jusqu'à ce que Djar éclate de rire et qu'elle me file une claque sur l'épaule.

— T'es qu'une tête de noix, tu le sais ça, hein ?

Elle reprend, plus sérieuse:

— Non, mais, vraiment. Et s'ils avaient besoin de certaines connaissances des Rastwys ? Ou s'ils voulaient simplement prendre avec eux des gens, disons des scientifiques, pour garder plusieurs approches différentes ? Pour avoir des visions nouvelles sur les choses, en explorer des aspects pas envisagés...

Nous sommes deux à la fixer, cette fois. Elle nous regarde l'un après l'autre, puis s'effondre en arrière sur les coussins en riant :

— Vous êtes vraiment deux incapables !

Djar s'essuie le coin de l'œil :

— C'est bon Kém, je te crois. Enfin, je vois où tu veux en venir. Enfin... je crois.

— De la peine à reprendre ton sérieux ? je lui demande.

— Et toi le génie, t'en dis quoi alors ? me répond Djar.

— Réponds pas aux questions par des questions ! Et puis pour ce que j'en sais, c'est même pas si improbable. Mais...

Je marque un temps d'arrêt, puis je reprends, plus gravement :

— J'espère quand même qu'ils ne prendront pas trop de risques, pour faire ça.

Djar acquiesce :

— J'suis d'accord. Ce serait dommage de gâcher tous ces millénaires de cache-cache et de progrès technologiques intenses pour aider des milliards de pauvres gens et destituer quelques abrutis.

— Je crois que tu m'as très bien compris.

— Bien sûr, me fait Djar avec un clin d'œil.

Je me lève et m'étire :

— Bah. On verra bien. Je suis juste content de pas être le seul à m'interroger.

— Pareil. Mais je savais qu'en tant que fouineur, tu serais le premier à poser des questions.

— Je trouve que tu insinues beaucoup de choses, mon cher, je rétorque.

— Je trouve, qu'au contraire, il a toujours autant de subtilité qu'un mur de briques, fait observer Kémès.

— Je suis plus beau qu'un mur de briques, fait remarquer Djar.

— Arrête, l'immeuble va mal le prendre.


À ce moment-là, j'entends le léger sifflement d'une conversation entrante et je quitte le salon tout en prenant l'appel.

C'est Ounamon, comme je m'y attendais. Et ce qu'il me dit ne me surprend pas non plus :

— Bon Hori, il faut que tu passes demain, tôt, au centre de commandement. On doit discuter de certaines choses. Emmène Vera avec toi, quelqu'un s'en occupera sur place.

Et il coupe la communication.

D'accord.

KhapyphisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant