Chapitre 5.4 - Vera

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Je commence par sortir mon carnet de dessin pour esquisser un croquis approximatif de cette extension du site. Sans le théodolite électronique du topographe, je ne vais pas aller bien loin, mais c'est toujours mieux que rien. Je commence par effectuer des mesures à l'aide de... mes jambes. Ou plutôt mes enjambées. J'ai l'impression d'être Numérobis, tellement j'ai l'air pitoyable avec mon pauvre carnet entre les mains. Toutefois, je repère rapidement les différents reliefs de la zone nord. Et c'est à ce moment-là que j'aperçois l'équipe venir dans ma direction, au loin. Cela ne fait aucun doute, Miguel ne leur a rien dit. Ils vont venir me prêter main forte. C'est plus que je ne le mérite... Je leur en suis plus que reconnaissante. Alors qu'est-ce que je fais pour les remercier comme il se doit ?

Je fuis.


J'ignore totalement mon itinéraire. Je sais juste que je m'éloigne le plus loin possible du campement, du groupe, du site, de la zone nord... de tout. Quand Miguel constatera mon absence, il va se mettre à beugler mon prénom partout. Je ne suis pas non plus prête à subir ça. Alors j'enfile mes écouteurs et me met à écouter les quelques musiques que je trouve dans mon holophone, tout en poursuivant ma progression vers nulle-part.


Il n'y a pas à dire, ici, c'est vraiment le désert. Du sable, des roches... Pas d'ombre, bien sûr. Mais déjà une chaleur étouffante, à seulement... j'ai pas la force de zieuter l'heure. Je sais qu'il est très tôt. Trop tôt. Je prolonge mon agonie en écoutant du Indochine. Si Laure apprenait que ses goûts musicaux foireux constitueraient le peu qui illumine mon vingtième anniversaire ! Laure... Si seulement elle était là...

Et voilà que mon holophone se met à grésiller. C'est nouveau, ça ! Que la musique soit brouillée pendant que j'écoute la radio, d'accord. Mais là, ça n'a aucun sens. J'examine mon téléphone portable dans tous les sens. Rien de suspect. Il n'empêche qu'il reste défectueux. La batterie est quasiment à son maximum et aux dernières nouvelles, je ne suis pas censée nécessiter du réseau pour écouter de la musique. Je sens que je vais perdre patience. Je continue à marcher d'un pas vif qui en dit long sur mon humeur. Et là, mon holophone se remet à fonctionner normalement, comme par enchantement.

Ma curiosité est piquée, ça y est. Je reviens sur mes pas. Même problème. Ce dysfonctionnement ne répond à aucune logique. C'est donc plus fort que moi : je dois comprendre d'où ça provient. Je dois savoir.

J'expérimente dans la zone. Je tourne un coup à droite, à gauche, je reviens sur mes pas, je fais divers tests. J'arrive rapidement à la conclusion que ce phénomène inexpliqué s'étend le long d'une ligne invisible très légèrement courbée. C'est tout naturellement que je la suis. Je suis obnubilée par ça, désormais (comme si j'avais autre chose à faire en cette circonstance, de toute façon).

J'ignore combien de mètres je viens de parcourir quand je tombe face à un obstacle de taille : une butte rocheuse me fait barrage. Et pourtant, la ligne invisible qui persiste à faire brouiller mon holophone semble poursuivre sa trajectoire ici même, malgré tout. A moins que ce phénomène provienne de quelque chose se trouvant à l'intérieur de cet amas rocheux, qui sait ? De toute façon ma curiosité ne peut être plus attisée, je suis déjà en train d'escalader la roche. Et me voilà au sommet.

A priori, il s'agirait d'une roche tout ce qu'il y a de plus normal. Mais comme je suis moi, je ne passe pas à côté d'un détail : il ne devrait pas y avoir autant de sable ici. Seulement de la roche. Et puis mon holophone me fait subir Nicola Sirkis dans une langue prenant de plus en plus des airs de polonais enrhumé. Plus de doutes. La source du brouilleur se trouve sous mes pieds. Je creuse.

Les archéologues devraient inclure un lecteur musical dans leur liste de matériel de base. Cinq petites minutes me suffisent pour dénicher ce qui s'apparente à une trappe. Mon excitation cède à la panique lorsque je l'ouvre sans effort. Ce n'est pas comme si je m'attendais à découvrir un palace illuminé de mille feux à l'intérieur, mais quand même. Même mon holophone ne parvient pas à éclairer plus de dix centimètres de profondeur tellement il fait sombre.

J'arrive donc à un dilemme. Je pourrais satisfaire ma curiosité et descendre seule dans la pénombre de cette forteresse, mais il faudrait que je sache passer outre ma claustrophobie et ma phobie du noir... Et puis j'ai vu « Batman Begins ». Qui me dit que ce trou n'est pas infesté de chauves-souris gluantes ? Voire pire... J'ai vu « The Descent » aussi.

J'opte alors pour la deuxième option : ravaler ma fierté, ignorer soigneusement toutes les raisons qui m'ont poussé à me tenir éloignée de mon équipe, et aller les chercher en renfort. Si cette découverte s'avère aussi passionnante qu'elle en a l'air, ça compensera largement mes erreurs de ce matin. Du moins, je l'espère.

KhapyphisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant