Je soupçonne Hori de chercher à m'épuiser pour me décourager de m'entraîner une fois rentrés chez lui. Je ne cherche même pas à compter les endroits où nous nous arrêtons. Je sais juste qu'il y en a beaucoup trop. On serait à Paris, on se serait arrêté dans une boulangerie, une épicerie, une boucherie, une librairie, un supermarché, à la banque, dans un pub ou un restaurant encore. Ici... difficile de trouver quelque chose de familier. Les magasins, par exemple, sont à mi-chemin entre une brocante, un musée et une foire. On ne sait pas trop ce qui est à vendre. On ne sait même pas s'il y a des vendeurs ou s'il s'agit d'un self-service. Me vient subitement des questions sur le fonctionnement de leur économie. Et maintenant que j'y pense, sur leur politique aussi. Puis l'enseignement. En fait j'ai trop de questions. J'ai tellement hâte de rentrer pour commencer à m'entraîner avec ce maudit khépesh ! Ça urge de plus en plus. Hori ne lâchera rien entre temps. Je le sais. Mais ça ne m'empêche pas de l'assaillir de questions.
Peut-être finira-t-il par craquer.
« Vous avez des noms de famille ? Quel est le tien ? Vous comptez les âges et les années à partir de quelle référence ? Vous parlez combien de langues ? Comment s'appelle la vôtre ? Quelle écriture utilisez-vous ? Quelles sont vos croyances ? Qui dirige la cité ? Quelle est votre monnaie ? En avez-vous seulement une ? Comment fonctionne le système de santé ici ? De quelle technologie vous servez-vous pour avoir accès au soleil comme ça alors que nous sommes censés être en sous-sol ? Entretenez-vous certains contacts avec l'extérieur de temps en temps quand même ? Comment vous nourrissez-vous ? Quelles sont vos traditions ? Avez-vous des fêtes ?... »
J'omets volontairement d'aborder les Rastwys et mon père. Je veux qu'il croie que ma curiosité est davantage portée sur sa belle et grande cité. Mais Hori n'est pas dupe, bien sûr. Il ne répond à aucune de mes questions. Il reste impassible et se contente de m'indiquer les chemins à prendre. Parfois il esquisse un petit sourire. Je l'amuse au moins, c'est déjà ça. Encore une heure comme ça et on verra si je l'amuse toujours autant !
— Tu t'épuiseras avant moi tu sais ? finit-il par me lâcher au bout de trois heures de marche et de questions dans le vent.
— Tu connais l'expression « Qui ne tente rien n'a rien » ?
— Et toi « la patience vient à bout de tout » ? ricane-t-il en guise de réponse.
— Tu détestes à ce point les Rastwys pour me faire subir ça ? je marmonne.
— Le concept de « détester » nous est pas mal étranger ici, tu sais. Alors non, je ne déteste pas tes semblables.
— Donc, c'est uniquement contre moi tout ça.
— Tu es bien une Rastwy. Tu vois des conspirations partout, se moque-t-il. Comment arrivez-vous à trouver le sommeil dans de telles conditions ? Si tu cherches la cause de tes insomnies, ne cherche pas plus loin.
Mais ma parole, ce garçon est vraiment au courant de tout !
— Permets-moi de relever un profond déséquilibre entre nous, je grogne. Tu as l'air d'en savoir très long à mon sujet. J'ignore comment d'ailleurs. C'est parfaitement légitime que je m'en soucie. La moindre des choses serait de m'en apprendre autant sur ton compte.
— J'en vois pas l'intérêt. Je sais pertinemment quels sont tes objectifs ici, Vera, et me connaître n'en fait pas partie.
— Qu'est-ce que tu en sais d'abord ? je m'offusque de plus en plus fort. Qui t'a parlé de mes objectifs ?
— Toi. Mais tu n'en étais pas consciente.
De mieux en mieux... On m'aurait droguée ? Hypnotisée ? J'ignore comment réagir à cette information. Je vais pour lui exploser quelque chose de gratiné au visage quand il me coupe :

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Khapyphis
Science FictionÉgypte, 2020. Une petite équipe d'archéologues, guidée par l'intuition de Vera Perez - une jeune femme au passé trouble - fait une découverte extraordinaire qui pourrait mener l'humanité toute entière à une nouvelle aube... ou la conduire à sa pert...