Chapitre 13.1 - Hori

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Je suis partagé entre la colère et la stupéfaction.

Le type qui a eu cette idée débile, je vais lui apprendre à se mêler de ses affaires, quand je le verrai.

Parce qu'au départ, l'idée était simple : je ramène Vera chez moi, on attend patiemment que tous ses confrères soient amenés pas trop loin, on les rejoint, nous discutons tous ensemble et on passe à la suite.

Sauf que...

Vera a réussi à se construire un beau film pour elle toute seule, entre-temps, en sautant bien directement aux conclusions.

Et un pauvre gars s'est dit que Vera n'étant pas consentante, au départ, il fallait lui donner le choix. Quand on lui a dit qu'elle avait participé de son plein gré à notre fausse opération anti-satellite, il a rétorqué qu'elle le faisait parce qu'elle se sentait responsable.

Ce qui en soi n'est pas entièrement faux.

Quoiqu'il en soit, et dans la plus grande joie bureaucratique, alors que je ramenais Vera— cette même Vera qui commençait à me taper sur les nerfs— il fût décidé qu'on devait lui donner le choix.

Rien de vraiment officiel, rien de prémédité. Rien de bien. Juste une voix tendue dans l'oreillette qui me dit de faillir volontairement à mon devoir.

Et quand j'ai demandé comment, la fille à l'autre bout m'a rapidement expliqué qu'elle n'en avait aucune foutue idée. Que tout ça sentait le roussi.

Question improvisation, je me suis moi-même surpris. Mais pas autant surpris que Vera, c'est sûr.

Une fois en cavale, elle a tout de suite été traquée par des détecteurs, donc nous savions à tout moment où elle se trouvait. Plusieurs autres personnes ont rapidement été mises sur l'affaire, encore une fois au dépens de tous les protocoles. Et parmi ces personnes, il y avait notamment Kémès.

Kémès, qui tombe « par hasard » sur Vera. Je ne sais toujours pas si elle voulait juste lui faire peur, mais en tout cas, mademoiselle Perez était en fuite, de nouveau...

Et là, soudainement... Un contrordre. J'ai failli exploser.

Cela ne faisait que prouver que plusieurs choses que nous considérions comme acquises, comme une transparence et une certaine logique au niveau des ordres, étaient rudement mises à l'épreuve durant les événements imprévus.

Se rendant compte que la personne qu'il avait fallu remettre en liberté une demi-heure plus tôt s'apprêtait à quitter la sécurité du champ de protection, une personne a dû se dire qu'elle en savait peut-être un peu trop pour qu'on la laisse repasser chez les Rastwys.

Sans blague.

D'après ce que j'ai brièvement entendu, Ounamon a complètement pété les plombs quand il a appris quels genres d'ordres avaient été donnés. Ce qui ne m'étonne pas.

Toujours est-il que, du coup, nous étions une petite dizaine de personnes, soldats, gardes, pilotes, à brusquement regarder Vera à deux mètres du champ répulseur. En nous demandant comment nous allions l'empêcher de sortir, sans utiliser la force. Vu les informations qu'elle détenait, si ça n'avait tenu qu'à moi, elle n'aurait pas fait un mètre avant d'être brutalement rattrapée par le destin — sous la forme d'un projectile électrocutant, par exemple.

Sauf qu'il fallait y aller diplomatiquement. Malheureusement, c'est également moi qui ai hérité de la mission diplomatique. Et on sait à quoi elle a abouti.

Le truc avec le champ répulseur, c'est qu'il ne s'ouvre que si le risque d'intrusion est de zéro — donc tant que des humains non reconnus sont détectés à proximité, à l'extérieur, il reste fermé.

J'avais donc espéré que quelqu'un puisse bloquer Vera, ou qu'elle ne parvienne pas à franchir le champ, mais non. Dans un pur accès de malchance, elle est sortie, mais n'aurait ensuite pu rentrer, même si elle l'avait voulu. Elle s'est retrouvée coincée dehors.

Et moi aussi, du coup. Mais mon raisonnement était le suivant : ce n'est pas quelques Rastwys qui vont m'empêcher de remplir ma mission, non ?

J'aurais pu foncer directement sur eux. Tous les mettre hors d'état de nuire. Ainsi, plus de problème d'intrusion.

Mais j'ai préféré suivre Vera, en espérant — comme l'espéraient les gens qui communiquaient avec moi — que les militaires Rastwys finiraient par se lasser de ces salles souterraines sombres où il n'y avait rien à voir.

Comme ce n'était pas ma journée, ils nous sont tombés dessus à l'improviste.

Et en plus, au moment précis où j'allais régler définitivement le léger problème qu'ils représentaient, j'ai reçu un énième ordre stupide.

En l'occurrence : « laisse-toi faire ».

« Laisse-toi faire ».

Alors que, durant les quatre secondes nécessaires au soldat qui me tenait en joue pour s'approcher de moi, j'ai déjà eu dix-sept occasions différentes de le désarmer et de descendre ses potes.

Mais non, Hori. Bouge pas. Résiste.

Pendant ce temps, une voix m'explique, d'une façon tendue et presque saccadée, que concrètement les Rastwys ne savent pas ce qu'ils cherchent, ce qu'ils vont trouver ici. Ils ont vu Nehkoris, ils doivent se dire que c'est une sorte de machine, mais ils ignorent ce qu'est réellement Khapyphis. Ils ne savent pas que la cité est habitée.

Donc l'important est de gagner du temps. Les attaquer attirerait l'intention, il n'est pas exclu que l'un des soldats ait le temps de prévenir quelqu'un, m'a dit mon contact (bien que j'en doute).


Je suis donc le condamné jeté en pâture aux lions.

Et quels lions pitoyables ils font.

— Avance !

La pression d'un fusil, dans mon dos, me pousse en avant. Je doute qu'une balle de ce calibre puisse transpercer l'Ishyk, mais pour l'instant, je vais rester sage.

Le trajet depuis les puits de lancement, je l'ai fait en hélicoptère, les mains attachées derrière le dos et un sac sur la tête.

L'hélicoptère, je l'ai reconnu au bruit. Et la courte durée du trajet m'a donné une idée assez précise de la distance parcourue. Maintenance, nous arrivons vers des bâtiments temporaires érigés en plein désert. Ça ne m'étonne pas vraiment, car même si cela demande une sacrée logistique, la situation aux abords de Khapyphis est tout sauf ordinaire.

Bon, par contre j'aimerais bien qu'ils soient assez aimables pour m'enlever ce truc qui m'empêche de voir correctement...

Nous passons dans l'ombre d'une construction. La fraîcheur soudaine m'arrache un frissonnement, après le soleil du désert.

L'hélice de l'hélico, bien qu'il soit maintenant à une cinquantaine de mètres derrière nous, fait voler le sable autour de moi. Son bruit me permet juste d'entendre la voix de Vera, quelque part sur ma droite, mais pas de comprendre ce qu'elle dit. Elle va tenter de se la jouer stupide pour gagner du temps, j'imagine. Quant à moi, ils n'ont probablement pas de certitudes sur qui je suis ou ce que je faisais vers Khapyphis, mais ils vont tenter de le découvrir.

Nous pénétrons dans un couloir et je sens un sol métallique sous mes pieds. La porte derrière moi est refermée, le bruit de l'hélicoptère s'atténue. Deux hommes m'attrapent les bras et me guident assez brusquement jusqu'à une salle vide, où ils me jettent au sol avant de verrouiller la masse de métal qui tient lieu de porte.

Je m'empresse de me débarrasser du sac qui m'empêche de voir... Ils ne l'avaient même pas attaché.

La pièce est nue. Plancher, murs, plafond, porte, tout est fait du même métal et a la même couleur. C'est moche. Et pas intéressant.

Je vais prendre mon mal en patience.

KhapyphisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant