Chapitre 16.4 - Vera

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Je sais.

Ce que je m'apprête à faire est mal. Je ne suis pas censée le faire et ce n'est très certainement pas recommandé dans notre situation actuelle. Mais je dois le faire quand même.

Je cherche le sac à main de ma mère. Je finis par le retrouver dans la commode de sa chambre.

Comme prévu, je trouve un téléphone portable à l'intérieur. Même mieux : un holophone. Ma mère est définitivement une cachottière de première classe ! Depuis quand sait-elle se servir de ça ?

Il est chargé. Une chance pour moi. Et lorsque je tente sa date de naissance pour débloquer l'accès, rien. J'essaye celle de mon père. Rien. Ça pourrait être leur date de mariage (que j'ignore), ma date de naissance (fille ingrate que je suis, j'en doute) ou la date de « disparition » de mon père. J'opte pour la dernière option en guise de dernier essai autorisé.

Dans le mille !

Peut-être que la chance me sourira jusqu'au bout en... Non. Je déchante rapidement. Le répertoire de ma mère est complètement vide. Cet holophone doit être neuf. Et cela doit faire partie du processus de disparition de ma mère. Je regarde les dernières applications utilisées, et je comprends l'utilité de cet appareil qui ne lui servira que le temps de rentrer à la cité. GPS, achat de voiture, courses, réservation de maison ici même, compte en banque secret... Ma mère gère absolument tout grâce à ce petit bijou, jusqu'à ce qu'on arrive à Khapyphis.

Pas bête.

En attendant, il ne me reste que très peu de temps pour faire ma bêtise. Je n'espère pas que Hori soit couvert de blessures, mais j'espère plutôt qu'ils mettront une bonne heure pour tout soigner bien comme il faut. Je songe également à l'interrogatoire que ce pauvre Hori doit être en train de subir par la grande Lisa Perez. Je souris, même si c'est méchant.


Avoir un holophone entre les mains m'avait manqué. Qui aurait cru qu'une simple recherche internet m'apporterait autant de satisfaction ?

J'obtiens rapidement les informations que je souhaite. Heureusement que cette association met à disposition les numéros des personnes à contacter en cas d'urgence... Et qu'elle en fait partie.

J'appelle.

— Laure Vivier j'écoute ? énonce-t-elle d'une voix rauque.

Peu importe si je la réveille, j'enchaîne :

— C'est Vera ! Je ne suis pas censée t'appeler mais je n'aurais plus l'occasion de le faire plus tard.

— Oh mince alors ! s'écrie-t-elle sur le coup de la surprise. Si je m'étais attendu à ce que ça soit toi ! Ta mère m'a dit que tu étais tombée amoureuse d'un sud-africain et que tu t'installais là-bas.

— Et tu ne l'as pas cru, j'espère !

— Je serais une piètre meilleure amie dans le cas contraire ! s'esclaffe-t-elle. Par contre, j'ai pas compris pourquoi tu m'as laissé sans nouvelle depuis si longtemps. Tu sais, une infirmière, ça s'inquiète tout le temps, hein...

— Je ne pouvais pas te contacter, crois-moi. Ça serait trop long à expliquer. Mais en gros, je serai hors couverture réseau durant les prochaines... (années) semaines.

— Ah bon ? Rien de grave, j'espère !

Non, je vais juste être emprisonnée dans une cité secrète où j'ignore encore ce qu'on va concrètement faire de moi... Mais sinon, ça baigne !

— Non, ne t'en fais pas. Je crois avoir retrouvé les traces de mon père, enfin. Mais c'est une civilisation très... arriérée qui a une sainte horreur de la technologie.

Je dois être aussi crédible que Pinocchio.

— Attends, tu vas survivre sans ton holophone ? Sans ordinateur ? Toi ? éclate-t-elle de rire à nouveau.

— J'en étais dépendante quand tous ces outils me permettaient de trouver mon père. Mais aucune utilité si je suis avec lui.

— Merci pour moi ! me reproche-t-elle à moitié sérieuse.

— C'est justement pour ça que je t'appelle maintenant, andouille ! Je voulais te prévenir.

— Mais dis-moi, t'es au courant que ta mère te rejoint ?

— A vrai dire, c'est avec son holophone que je t'appelle.

— Ce qui veut dire qu'elle est en Egypte ? s'étonne-t-elle plus que le fait que j'ai survécu à sa présence jusqu'ici.

Son holophone doit indiquer que j'appelle d'Egypte. Tant pis pour l'alibi Afrique du Sud...

— Oui. Mais ça aussi, c'est une longue histoire ! Enfin voilà. Je voulais te dire que tout se passe bien pour moi (mensonge). Que j'approche de mon but et que je ne cours pas de danger (mensonge au carré). Pas de quoi t'inquiéter, donc (mensonge au cube). Et ceci tant que je ne te donnerai pas de nouvelles. D'accord ?

Je n'entends pas sa réponse que je me vois contrainte de me cacher. Quelqu'un approche. Je remets le tiroir de la commode en place et trouve refuge dans une sorte de petit dressing.

— Je dois y aller, je chuchote. Gros bisous !

Et je raccroche.

Pires adieux que ça, on meurt !


— Tu dois savoir faire fonctionner ce machin mieux que moi, lance ma mère à Hori. Pour avoir Ounamon en lien direct, j'appuie ici. Je te laisse en intimité avec les tiens.

— Merci Lisa.

Tiens donc, ils sont passés à l'étape « tutoiement » ! C'est vrai que nettoyer des plaies et enduire une personne de miel resserre les liens, c'est bien connu !

Toujours est-il que je me retrouve coincée ici, en silence. Et je dois attendre que Hori daigne terminer sa conversation avec son chef pour sortir de là, comme si de rien n'était.

Un mal pour un bien finalement. Peut-être que j'en apprendrais suffisamment pour savoir où cette transition nous mènera réellement.


Et je m'insulte intérieurement lorsque je l'entends parler en khapy. Comment ai-je pu croire une seule seconde qu'il me faciliterait l'espionnage improvisé et forcé ?

Pourvu qu'il ne m'entende pas, j'aurais l'air profondément ridicule ici, à écouter aux portes, des mots incompréhensibles !

Je parviens cependant à relever des « Vera » et « Lisa » par-ci par-là. Et puis on dirait qu'il se fait enguirlander. Ou qu'on lui annonce de mauvaises nouvelles en perspective. Dans tous les cas, ça n'engage rien de positif.

Il finit par couper la conversation.

J'ai failli attendre !

KhapyphisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant