Chapitre 5.1 - Vera

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Une fois à l'aéroport, il doit nous rester une petite demi-heure de voiture pour parvenir à El-Qalamun. J'ai dormi pendant tout le trajet en avion, comme d'habitude. Le temps passe plus vite ainsi et mes nerfs sont moins exposés aux risques de... turbulences, dira-t-on.

Dans le vieux monospace qui nous emmène jusqu'à notre hôtel, c'est un peu plus compliqué. Mais je suis absorbée par le paysage. Cette ville, Mut, je m'en souviens comme si c'était hier, bien sûr. Sauf que la dernière fois que j'ai arpenté ces rues, j'étais en compagnie de mon père. C'est pourquoi je me mets instinctivement à scruter les visages des passants —  enfin, ici plus qu'ailleurs. Si Miguel fait semblant de ne pas avoir remarqué ce vieux réflexe certainement pathétique, je le conçois, ce n'est pas le cas de Will qui me toise avec la compassion d'un grand-père attentionné. Quant aux trois parisiens — surtout les hommes — ils se contentent de m'ignorer sagement depuis le début du voyage. Pourvu que ça dure.


El-Qalamun. Hôtel. Notre point de rendez-vous avec le reste de l'équipe et notre dernière nuit dans des chambres dignes de ce nom. Si ça ne tenait qu'à moi, j'aurais fait une impasse sur cette escale et retrouvé le campement le plus vite possible. Je suis tellement impatiente de me retrouver sur le chantier que je suis à cran. Mon humeur est donc ce qu'elle est lorsqu'on me présente les personnes avec qui je cohabiterai pendant trois mois.

Au total, nous sommes donc dix. Miguel connaît déjà les deux québécois présents : Simon et Stéphane. Ils se ressemblent tellement tous les deux que je ne cherche pas à savoir qui est qui. De toute façon, ils se sont à peine présentés qu'ils me fatiguent déjà. Et ça parle, et ça parle, et ça rit pour un rien...

Je trouve un certain havre de paix aux côtés de Wendy, la géologue de l'équipe. Elle est anglaise et son français est plus qu'approximatif. Évidemment, je me garde bien de lui révéler que je suis trilingue. Ça vaut également pour l'espagnole qui me scrute d'un œil mauvais. Gabriella, apparemment. L'anthropologue... Un bref regard me suffit pour comprendre que je vais devoir me passer de toutes expertises spécifiquement anthropologiques. Elle ne me facilitera pas la vie, celle-là. Ça tombe bien, je n'ai pas l'intention de me laisser faire non plus. Sauf qu'elle n'en a pas encore conscience, elle, mais elle pourra très difficilement se passer de moi sur ce chantier. J'ai hâte de voir comment elle va réagir lorsqu'elle s'en rendra compte.

Je partage ma chambre avec Valérie Combe, comme prévu. Cette botaniste française est sans doute la colocataire idéale. Ce n'est pas Laure, mais elle a le mérite de n'ouvrir la bouche qu'une seule et unique fois pour me demander de choisir la couchette que je préfère.

Suite à ça, elle s'est brossé les dents, a pris place dans la couchette du haut et s'est rapidement endormie. Et la cerise sur le gâteau : elle ne ronfle pas. C'est limite agaçant de ne pas avoir matière à se plaindre. Je ne suis pas habituée à autant de facilité. Alors j'en profite un maximum. Je laisse la lumière de la salle de bain allumée et la porte entre-ouverte et me jette à mon tour dans les bras de Morphée, sans avoir besoin de me préoccuper du noir. Si ce n'est pas magnifique comme début de séjour, ça !


Je déchante rapidement.

Réveil quasi militaire. Le café est tiède et infâme. Et disons que j'ai connu plus agréable que la voix de Legreffier braillant incessamment de nous magner, de bon matin.

Deux monospaces et deux grosses camionnettes nous attendent. Malgré ça, ils ont du mal à faire rentrer tout le matériel dedans. Tant que mes deux grosses valises arrivent à destination, j'avoue que le reste m'est bien égal. Je laisse donc mon équipe de ces prochains mois s'entre-tuer à propos de ce qui est plus légitime d'apporter sur place en premier, et me glisse dans un des monospaces pour terminer ma nuit.

KhapyphisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant