Chapitre 12.3 - Vera

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Je me demande ce qui serait le plus judicieux : me rendre auprès des autorités Khapys, ou celles des Rastwys ? Là, tout de suite, je serais bien incapable de discerner mes alliés. Lorsque je repense à tout ce que j'ai vécu ici, finalement, je me dis que je n'ai jamais été autre chose qu'une prisonnière.

Je repense subitement à ma dernière entrevue avec Hori. Et si, justement, on venait tout juste de lui donner l'ordre de me ramener avec les autres Rastwys pour se servir de nous comme otages, durant cette fameuse réunion interminable ? Cela expliquerait bien des choses. Cela expliquerait même... tout. Sa mine renfrognée, son silence imperturbable, son désarroi émanent, son impatience avec moi... Sa mission touchait à sa fin. Il ne lui restait plus qu'à me ramener en prison, sans passer par la case départ, sans toucher vingt mille euros. Et pourtant...

Il ne l'a pas fait.

Peut-être en avait-il l'intention, au début. Ou alors, peut-être cherchait-il une solution pour nous épargner. Ce qui expliquerait son silence. Quoique pour Hori, être silencieux n'était pas foncièrement rare.

J'ai beau tourner toutes les possibilités dans ma tête, j'en arrive toujours à la conclusion que les Khapys veulent se servir de nous comme otages.

En revanche, je ne parviens toujours pas à saisir le comportement de Hori.

Et s'il m'avait «embrassée» uniquement pour me donner l'illusion qu'il avait perdu la tête pour me donner une chance de fuir ? Et s'il avait fait ça pour me sauver, tout simplement ?

Mais ça non plus. Ça ne tient pas. Hori est un soldat loyal. On lui aurait ordonné de se jeter d'un pont pour le bien de Khapyphis, il l'aurait fait. Sans montrer la moindre réticence. Alors je vois mal comment il aurait pu faire abstraction de ça pour... moi. Une emmerdeuse de première, qui ne fait que lui compliquer l'existence depuis son arrivée impromptue dans la cité.


Toujours est-il que je dois continuer à avancer. Je me dirige instinctivement vers la zone interdite, marquée en rouge sur le plan. Elle n'est pas très difficile à repérer, et quasiment déserte. Naturellement, je dois me la jouer discrète pour ne pas me faire capturer si près du but. Car oui, mon nouveau but est de sortir de Khapyphis par l'endroit exact où j'y suis entré. J'ai décidé ça au moment même où j'ai compris qu'on se servirait de moi pour marchander un accord de paix utopique. Si les Khapys sont assez naïfs pour penser que les Rastwys reculeraient devant la colonisation d'une cité hautement avancée —  notamment en équipements technologiques et en armement — pour la vie de quelques petits archéologues de pacotille, ce n'est pas mon cas.


Je me cache derrière tout abri trouvé en chemin. Je vérifie que la voie est libre pour traverser les ruelles abandonnées de la cité. J'aperçois un soldat sur ma droite, je pars sur la gauche.

Tout va de plus en plus vite.

Je sais que je dois accélérer le mouvement et redoubler de vigilance pour ne pas non plus qu'on m'entende. Je retiens mon souffle avec difficulté. Je ne suis pas entraînée pour l'endurance. Ni pour endurer ça.

Je me pose quelques secondes sous un patio recouvert de lierre. J'essaye de faire descendre la pression et calmer mes pulsations cardiaques. C'est à ce moment-là que j'entends deux Khapys venir dans ma direction.

Je n'ai pas d'issue.

Par pure réflexe, je me couche à terre. Peut-être que le lierre parviendra à me cacher le temps nécessaire.

J'admire les chaussures —les même que celles de Hori — qui passent à quelques centimètres seulement. Ces deux soldats ne pouvaient me frôler davantage. Ni me louper davantage. Question de point de vue. J'attends qu'ils s'éloignent complètement pour reprendre mon souffle.

Je ne me relève pas tout de suite. Je décide qu'il est plus prudent de ramper jusqu'à ce que j'arrive à un embranchement qui m'offre une meilleure vision des alentours.

Rien à droite, rien à gauche, rien en face. Je jette un dernier regard vers l'arrière avant de me relever et...

— Alors comme ça, on joue les intrépides ?

Kémès...

Bon sang, je lui ferais bien ravaler son petit sourire narquois, à celle-là ! Mais disons que je ne suis pas en position de force. C'est le moins qu'on puisse dire.

— Je...

— Oh, ne te fatigue pas, Vera ! Je sais très bien ce que tu...

Apparemment, elle ne savait pas si bien que ça à quel point je suis entêtée. À vrai dire, je me suis surprise moi-même par la rapidité avec laquelle je me suis levée. Sans parler de ma vitesse de course actuelle. Je me surpasse parfois. Ça doit être ça, l'instinct de survie.


J'ai vaguement conscience d'être poursuivie par plus d'une personne. Je n'entends plus que le martèlement de mes pas. Étant donné le nombre de soldats présents dans cette zone désertée, je m'interroge sur leur réelle volonté de me capturer. D'accord, je cours vite, mais pas autant qu'un soldat d'élite. Encore moins qu'une dizaine de soldats d'élite à mes trousses.

Je risque un coup d'œil en arrière. J'avais raison. Plus personne ne me poursuis. Enfin... Disons plutôt que plus personne n'ose le faire. Les voilà tous agglutinés les uns à côté des autres en train de me faire signe de revenir gentiment.

Non, mais ils sont sérieux ?

Je dois être proche de la zone non sécurisée. Et c'est ironiquement l'endroit à Khapyphis où je peux me sentir le moins en danger. Apparemment, je suis hors d'atteinte. Ça m'amuse presque. Tous ces vaillants gardes d'élite face à moi réduits à de simples froussards.

Mais de quoi ont-ils réellement peur ? Est-ce au moins de la peur ? Si ça se trouve, ils ne sont pas génétiquement constitués pour survivre hors de portée de leur fameux champ répulseur. Ou quelque chose du genre.

J'ai ma réponse en parfaite synchronisation avec mes pensées, lorsqu'un soldat s'avance tout doucement vers moi, les mains en l'air en signe de paix.

Hori...


Mon cœur s'accélère à nouveau. Évidemment, il fallait que ça soit lui.

Est-il en train de se mettre en danger pour venir me chercher ? Et si c'était le cas, est-ce que je suis censée accepter ça ?

Je ne devrais pas m'inquiéter de son sort. Cet homme m'a retenue prisonnière durant des semaines et a tenté de m'amadouer pour me rendre plus docile, pour servir les propres intérêts de sa précieuse cité. Me voilà derechef en colère contre lui.

— Reste où tu es Hori ! je peste à tue-tête. C'est trop tard, je m'en vais !

Je n'ai aucune idée du comment ni où. Mais je sais que je ne veux pas qu'il avance davantage.

— Vera... Ne fais pas de bêtises. Tu n'as aucune idée du danger que représente...

— J'en ai rien à faire ! je hurle furieuse en le coupant net. Je préfère encore griller sous votre champ répulseur ultra puissant, plutôt que de servir de pion dans une guerre pour laquelle nous sommes proclamés coupables à tort !

— Mais enfin, mais... de quoi tu parles ?

Très fort. Il pourrait presque me convaincre qu'il n'est pas au courant de l'invasion des Rastwys et de leur plan nous concernant. Presque...

— Au revoir, Hori, je marmonne avant de me retourner.

Puis j'avance, une main tendue en avant. J'attends de sentir une décharge imminente, tout en ignorant les nombreuses protestations de mon ancien geôlier. Il se rapproche de plus en plus. J'accélère ma cadence. Puis je la sens enfin. Cette fine couche magnétique. Je pensais que ça serait douloureux. Je ne sens rien d'autre qu'une légère caresse le long de mon bras, ma tête...

Et me voilà dehors.

KhapyphisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant