Autant dire que je me fais toute petite lorsque je me pointe à l'aéroport, ce fameux vendredi. Entre temps, j'ai ignoré tous les appels holographiques de Miguel et ses très nombreux messages. Je n'ai pas non plus cherché à joindre Legreffier. Mieux valait ne pas prendre le risque d'aggraver mon cas. D'autant plus qu'il pouvait toujours changer d'avis et m'écarter du chantier. Alors non, j'ai préféré la bonne vieille loi du silence. Ma meilleure alliée, en général.
Laure a insisté pour m'accompagner à l'aéroport. Ce qui explique pourquoi elle est en train de se liquéfier — au sens propre du terme — dans mes bras. Cette fille est une vraie madeleine. Moi qui pensais que ses études d'infirmière allaient l'endurcir...
— Arrête de te payer ma tête, Perez ! me reproche-t-elle gentiment (en m'assénant tout de même une pichenette sur le bras).
— Mais j'ai rien dit ! je m'offusque exagérément.
— Tu sais très bien que t'as pas besoin de ça pour que je t'entende. M'enfin, moque-toi parce que je pleure si ça me chante, je te fais juste remarquer qu'on ne se verra pas pendant trois mois. C'est COLOSSAL, trois mois !
— Je me demande qui est le plus à plaindre, intervient une voix masculine familière — à l'accent unique — dans mon dos. Car en attendant, c'est nous qui allons nous la farcir pendant trois mois !
— Salut Miguel ! s'exclame Laure en lui faisant la bise. Contente de te revoir.
— On dirait pas. Sérieusement, toutes ces vilaines larmes sont pour ce petit démon ambulant qu'est ma nièce, vraiment ?
C'est à mon tour de frapper le bras de mon oncle, mais je ne me contente pas d'une pichenette.
— Oh toi, commence pas ! m'avertit-il d'un ton sec. D'ailleurs, j'ai deux trois choses à te dire, mademoiselle Je-Boude-Mon-Holophone ! Tu croyais vraiment pouvoir assaisonner le boss comme ça et t'en tirer aussi facilement ?
— Il l'avait bien cherché.
— Ra, tu es désespérante... On voit que c'est ta mère qui s'est chargée de ton éducation durant ces six dernières années... Mais là, tu...
Il marque une pause, jette un œil par-dessus mon épaule et murmure :
— Tu as de la chance. Nous avons de la visite. Mais ce n'est que partie remise, pour le savon. Compte sur moi !
Je me retourne sans hâte, certaine d'y découvrir les trois parigots à qui j'ai salement faussé compagnie au restaurant. Comme quoi la vie nous réserve toujours son lot de surprises... Si je m'étais attendue à le voir ici...
— Will ! je m'écrie avec un enthousiasme démesuré.
Je m'attendais tellement à une invasion de parasites que la vision d'un grand sage inoffensif me paraît presque une apparition divine. Je me jette spontanément dans sa direction pour lui faire la bise. Moi, faire la bise ! On me filmerait, j'aurais quand même du mal à imaginer la scène. Et tout le monde semble avoir des difficultés à y croire, Will tout particulièrement.
— J'ignorais que t'étais capable d'un accueil aussi chaleureux, petite. Surtout pour un vieux débris comme moi !
— Tu ne peux pas savoir combien je suis contente de te voir toi, plutôt que...
— Et moi, m'interrompt Miguel, j'ignorais que tu pouvais te montrer aussi... « amicale » envers quelqu'un qui ose t'appeler « petite », sans lui faire la moindre remarque ou tête au carré.
— Et moi, rétorque Laure à son tour, j'ignorais que tu pouvais te montrer amicale, tout court, envers autrui.
Je me sens obligée de répondre, par respect pour le vieil historien :
— Mais enfin, Will n'est pas « autrui ». Vous savez bien que c'est l'antiquaire, je vous en parle souvent !
— Oh ! Tu parles souvent de moi ? raille Will.
— Oh ! Tu parles souvent, tout court ? se met à glousser Miguel, plus moqueur que jamais.
— Allez tous vous faire voir !
Je fais semblant d'être profondément vexée. Mais en réalité, je ne pouvais rêver meilleure compagnie que ces trois-là, en dehors de mon père, bien sûr. Évidemment, personne n'est dupe. Surtout pas Laure qui se rue derechef dans mes bras, toujours en larmes.
— Tu vois, c'est ce fichu caractère de cochon qui va me manquer le plus.
— C'est pas très sympathique pour les cochons, commente mon oncle, de nouveau hilare. Vera est comme sa mère : hors catégorie.
— Ça c'est bien vrai, renchérit Will. Maintenant, la question sera de savoir s'il nous sera aisé ou non de cohabiter avec cette « hors catégorie » pendant trois mois. N'est-ce pas Miguel ?
Franchement, je ne sais pas ce qui m'étonne le plus. La présence de Will d'abord dans cet aéroport, puis sur le chantier, le fait qu'il connaisse déjà Miguel... Ou le fait que je n'ai pas été foutue de comprendre tout ça par moi-même avant. Sa présence ici aurait dû me mettre la puce à l'oreille.
A priori, c'était une surprise. Ça faisait un moment que Miguel envisageait d'impliquer un peu plus mon cher antiquaire dans les recherches. Depuis le temps qu'il nous aidait, c'était tout à son mérite et je ne doute pas une seconde des capacités de Will à éblouir cette ordure de Legreffier. Je suis réellement ravie de le savoir de la partie. Et pour une fois, mon sourire n'est pas forcé.
Je fais la bise à ma meilleure amie une dernière fois. Et nous ne prenons pas la peine d'attendre le reste de l'équipe pour enregistrer nos bagages.
Ce voyage commence tout simplement bien. Si je m'y étais attendu en me levant ce matin !
Malgré tout, une petite voix « made in Lisa Perez » à l'intérieur de mon esprit me souffle que ça ne va pas durer.
À suivre...
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Khapyphis
Ficção CientíficaÉgypte, 2020. Une petite équipe d'archéologues, guidée par l'intuition de Vera Perez - une jeune femme au passé trouble - fait une découverte extraordinaire qui pourrait mener l'humanité toute entière à une nouvelle aube... ou la conduire à sa pert...