Chapitre 16.1 - Vera

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 Chuck Norris serait sorti de cette voiture que ça m'aurait moins étonné.

Ma mère ! Non mais ma mère, quoi !

Ici !

Et apparemment, elle semble en savoir bien plus que moi. C'est à n'y rien comprendre. Elle qui n'a pas mis les pieds en Égypte depuis la disparition de mon père. Il ne fallait même pas lui en parler. « Un blocage », disaient les psychologues !

Et la voilà qui se pavane devant moi comme si tout ceci n'était que d'une banalité affligeante.

Je repasse tous les évènements des six dernières années qui pourraient m'apporter un semblant d'explication la concernant. Ça me donne encore plus mal à la tête que le bourdonnement perpétuel de cette maudite tempête de sable encore présent dans mon crâne.

Mais je ne lui ferais pas le plaisir de m'évanouir à nouveau. Même si Hori est là. Même si on dit « jamais deux sans trois ». Même si je me sens extrêmement faible au point de ne plus vraiment savoir raisonner de manière efficace.

Je vais m'accrocher. À Hori. Et attendre les explications. Je crois que c'est l'option la plus sage.

C'est sans compter sur ma génitrice qui ne peut pas s'empêcher de me poser mille questions à la seconde pendant que nous grimpons dans sa voiture. Je me demande si elle ne me donne pas plus le tournis que la tempête et toutes les épreuves que nous venons d'endurer. C'est on ne peut plus plausible.

— Elle a besoin de boire, manger et se reposer, intervient Hori fermement.

Autrement dit : « fermez-la, roulez et laissez-la tranquille ! »

À présent que ma mère me fiche la paix, j'ai comme un regain de reconnaissance envers Hori. Certainement deux ou six fois plus important que le moment où il nous a sorti de prison. C'est dire !

Je note qu'il a également eu la bonne idée de m'installer contre lui à l'arrière du véhicule. Un mal sans doute nécessaire. Dire que je suis faible est un faible mot.

J'aimerais dormir. Mais les mouvements brusques de la voiture en plein désert n'aident pas. Je ne peux faire qu'une chose : attendre, laisser les autres parler, espérer entendre les réponses que je ne suis, hélas, pas en mesure de réclamer.

— Moi c'est Lisa, attaque ma mère.

Parce que de toute façon, c'est plus fort qu'elle. Il FAUT qu'elle parle. Tout le temps !

— C'est ce que j'avais cru comprendre, raille Hori, égal à lui-même. Moi c'est Hori.

— Vous avez sûrement des milliers de questions à me poser, Hori.

— Pas autant que Vera, j'imagine !

— C'est certain. Mais puisqu'elle n'est pas en état de converser, je peux déjà vous renseigner vous.

— Si ça ne vous dérange pas, Lisa, je préférerais attendre que nous soyons de retour à Khapyphis pour... converser. Ça sera plus calme. Et puis c'est important que Vera puisse suivre aussi.

Je ris intérieurement. Hori doit se dire « telle mère, telle fille ». Ça me rappelle mes premiers moments à Khapyphis lorsque j'inondais Hori de questions toutes aussi futiles les unes que les autres. Et qu'il ne me répondait jamais. Ma mère va rapidement connaître cette même frustration. Je jubile par anticipation.

Toutefois, à présent que j'ai appris à connaître Hori, je sais que cette facette de sa personnalité n'est pas réellement ce qu'elle semble être. Hori est tout sauf asocial. Il s'est révélé plus d'une fois très ouvert et à l'écoute. Or, seulement lorsqu'il était sûr que nous ne craignions rien. Ce qui fait de lui quelqu'un d'extrêmement prudent. J'imagine que dans le cas présent, il préfère se focaliser sur notre objectif et être attentif au moindre obstacle qui pourrait nous faire face d'une seconde à l'autre, plutôt que de taper la causette à Lisa Perez.

Mais c'était sans compter sur cette dernière, encore une fois. La voilà qui rapplique :

— Comment savez-vous que nous allons dans votre cité ?

Lisa..., je soupire secrètement.

— Votre transmetteur vient de chez nous. Je suis sûr que c'est grâce à ça que vous nous avez trouvé. Ce qui signifie aussi que vous êtes en contact avec la cité depuis longtemps, puisqu'il ne s'agit pas de notre dernière technologie. J'en déduis donc que nous allons tous les trois à Khapyphis. C'est l'essentiel. Le reste m'importe peu tant que nous ne sommes pas en sécurité.

Ça a le mérite d'être sec. Et de clouer le bec à ma mère... une minute ou deux.

— En fait, nous n'y allons pas tout de suite, reprend-t-elle. J'ai reçu l'ordre de la part d'Ounamon d'attendre que les forces armées s'éloignent d'une issue à l'ouest de la cité. Selon lui, personne ne l'a encore soupçonnée, celle-là. La majorité campe vers le nord-est, là où l'équipe de Vera est parvenue à rentrer. Mais Ounamon veut que nous restions prudents et qu'on évite d'attirer l'attention sur l'ouest. D'ici là, nous logerons sur Abu Minqar. En toute discrétion.

Comme si Lisa Perez pouvait être capable de discrétion !

— Très bien, commente simplement Hori.

Et le calme fut.


— Hello, la belle aux bois dormant ! me souffle ma mère en me caressant tendrement les cheveux. Oh là là, il te faudra plus d'une douche pour arriver à décrasser tout ça !

— Contente de te revoir aussi..., je bougonne en me redressant avec difficulté.

C'est bien simple, je dois avoir des courbatures partout, sauf aux cheveux.

J'ai dû finir par m'endormir dans la voiture, puis continuer ma nuit dans cette chambre plutôt agréable. En effet, à côté de ma cellule de fortune, tout me parait bien luxueux.

— Hori dort dans la chambre d'à côté. Ce brave garçon a attendu d'arriver et te porter jusqu'ici pour aller se coucher. Je ne sais pas comment ils forment leurs soldats, à Khapyphis, mais les nôtres devraient en prendre de la graine ! Je te le dis !

— Lisa... Je te signale que nous sommes tous les deux dans cet état notamment à cause de nos précieux et humbles soldats. Donc là, maintenant, j'ai tout sauf envie de parler d'eux.

Et de parler tout court...

— D'accord. Je t'embête pas plus longtemps, ma puce (ma puce ?). File prendre ta douche, c'est juste en face. Et puis descends me rejoindre dans la cuisine. Je t'ai préparé des crêpes comme tu les aimes ! s'enthousiasme-t-elle comme si j'avais huit ans et qu'elle venait de me récupérer pour les vacances après six ans de séparation forcée.

Mon dieu que cette journée va être longue ! Néanmoins, quitte à choisir, je préfère encore cette pénitence là que celle que je viens de quitter.

Après tout, des crêpes... C'est pas si terrible que ça ! 

KhapyphisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant