Chapitre 10.1 - Hori

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Je réfléchis. Ça peut paraître surprenant, mais mon comportement de tous les jours présente bien des avantages, dont le principal est que personne ne s'attend à ce que je pense plus loin que les ordres que je reçois.

Mais, derrière cette façade, je peux me permettre d'établir des hypothèses, je peux essayer de comprendre la situation.

Vera ne pourrait pas, elle. Enfin, pas d'après ce que j'ai observé. Chaque émotion qui passe par son cerveau est affichée sur son visage. En fait, c'est dur de faire comme si on ne la comprenait pas. Mais moi, j'ai de l'entraînement, et les gens s'attendent de toute façon à voir des soldats inexpressifs et qui ne font que ce qu'on leur demande.

Vera me considère comme un parfait chien, obéissant aux ordres de mes supérieurs sans jamais les remettre en question. D'ailleurs, elle et son oncle ont acquis la certitude que je ne peux rien faire en présence de mon chef, et que celui-ci retirerait Vera de ma garde si elle se montrait collaborative.

Ce qui n'arrivera pas. Si Ounamon a décidé de me confier Vera, c'est qu'elle restera sous ma surveillance jusqu'au bout. Enfin de toute façon, la prétendue opération de détournement de signal GPS n'était qu'une épreuve. Au passage, je me demande comment Vera et Miguel y ont réellement cru. Bon, la situation doit un petit peu les dépasser, mais ils n'ont apparemment pas encore bien réalisé l'étendue de nos connaissances et de nos moyens.


Par contre, concernant Vera, quelque chose cloche, des informations manquent. Que son père soit déjà venu ici, ou même qu'il y soit encore, soit. Cela n'explique pas pourquoi, de tout son groupe, elle serait la seule à être placée directement sous la surveillance d'un soldat et pas simplement placée avec les autres de son groupe.

Il doit y avoir autre chose. Quelque chose s'est passé, il y a plusieurs années, dans le secret du cadre militaire, qui concernait directement Vera. Et Vera elle-même n'en sait rien. La seule chose qui l'obsède, la chose qui pourrait la briser autant que couronner des années de travail et d'obstination, c'est la preuve que son père est venu ici avant elle... Et qu'il est encore en vie.

En l'occurrence, elle a craqué.

Elle a même sévèrement craqué. Mais ce n'est pas tant le fait que je ne puisse rien lui dire sur son père, c'est surtout que je ne lui dirai rien sans connaître moi-même le fond de cette histoire.


Après avoir ramené Vera chez moi et l'avoir couchée dans son lit, je m'assieds dans le salon, seul, et je continue mes réflexions.

Ce qui ne donne pas d'éblouissants résultats. Vraiment pas.

Dehors, les Khapys sont agités : un niveau d'alerte a été mis en place, et la population sait que les Rastwys, en tout cas une partie d'entre eux, ayant eu vent de notre existence, vont tenter quelque chose. Je vais probablement être convoqué, à un moment ou un autre, au QG, afin de prendre connaissance, avec la Garde, des plans et stratégies qui seront appliqués.

Mais en attendant, je tourne en rond dans ma propre tête... Il est vrai que je pars de pas grand-chose. Je n'ai accès à aucune source d'informations, les données sont hors de ma portée.

Et il y a également le fait que chercher des réponses, des explications à tout ça ne m'avance strictement à rien. Rien du tout. Je le fais pas pur réflexe, comme une petite torture personnelle. En plus, plus j'y pense, plus j'ai l'impression de me monter la tête avec un rien, d'être parano ou de juste chercher des excuses pour ne pas penser à la situation de Vera.

  Ou à la situation de Khapyphis.  

Habituellement, dans ce genre de cas, je m'occupe. Je cours. Je m'épuise, je me vide la tête. Étant actuellement responsable de la personne qui semble être à l'origine de mes questionnements, ça risque d'être difficile.

Mais j'ai deux atouts, deux jokers dans mes manches : je sais que je peux leur faire confiance, ils me connaissent. Et de la compagnie me fera du bien. J'espère juste que Djar n'est pas en mission, enfin surtout qu'il ne s'est pas lui aussi vu assigné de mission « d'examen » qui l'obligerait à rester chez lui.

Apparemment pas, car lorsqu'il répond, c'est pour m'apprendre qu'il s'ennuyait et qu'il est déjà en route, ce qui ne me surprend qu'à demi.

Et c'est donc avec le sourire que j'appelle chez ma meilleure amie... Qui ne semble pas spécialement surprise de mon appel et pas spécialement enthousiasmée de venir chez moi, en cause la présence de Vera.

Je lui explique que cette dernière dort, et qu'elle dormira encore un bon moment grâce aux calmants que je lui ai donné. Sérieusement, on va lui enlever son addiction à la caféine, mais faudrait voir à rien lui donner de trop énergisant non plus... Plus on monte haut, plus la chute est rude.

Kémès décide de passer.

Je sais ce qui la tracasse.

Oh, non, pas vraiment la présence de Vera. Pas le fait de perdre sa place de fille du trio, ou quoi que ce soit d'autre en rapport avec moi ou Djar.

C'est Vera elle-même. Je crois que Kémès a pas mal flashé sur elle, au premier regard. Et ça, elle se ne l'avouera jamais.

Je rigole intérieurement, en imaginant Vera tombant amoureuse de Kémès...

Quel couple... Explosif.

KhapyphisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant