Chapitre 58 (partie 3)

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Là sur la colline, Joshua aperçut un éclat doré. Il aurait reconnu entre mille cette chevelure flottant au vent.

Il fit arrêter la voiture, en descendit, ordonna à son cocher de rejoindre Churbedley et avança au pas de course vers les hauteurs, devant les bois. Jusqu'à se retrouver sur le chemin du cheval de Cassandre, qui se cabra en hennissant. Il croisa les bras sur sa poitrine et se campa sur ses jambes dans une attitude butée, bien décidé à ne pas bouger d'un pouce, même en face de Scamandre et ses cinq cents kilos.

Artie s'élança vers lui, aboyant joyeusement. Un grand chien efflanqué vint timidement le renifler. Le fameux Hadès dont elle parlait dans ses lettres sans doute. Il avait un regard très doux qui lui plut immédiatement. Il se pencha pour leur donner quelques caresses à tous les deux. C'était agréable d'être accueilli par des démonstrations d'affections, pensa-t-il en enfouissant ses doigts dans la fourrure rouge et soyeuse de la chienne.

– C'est moi ou tu as grandi boule de peluche ? Demanda-t-il. Pour seule réponse, elle frétilla en sautillant et laboura ses bottes de ses griffes.

Cassandre faisait tourner Scamandre au pas autour de lui. Pour ne pas perdre contenance, Blake se releva, effaça le sourire béat de son visage et lâcha d'un ton sarcastique :

– Visiblement vous n'êtes pas à l'article de la mort.

Elle stoppa son cheval et après avoir détaillé son mari de haut en bas, descendit de sa selle dans un mouvement souple. Elle croisa les mains dans son dos, leva le menton et lui fit face.

Devant son ton agressif et son absence totale de politesse, elle se contenta de signaler que jusqu'à présent elle ignorait qu'il était possible de trouver des ours en Angleterre. Mais qu'il ne pouvait pas mieux tomber puisqu'elle avait besoin d'une nouvelle descente de lit. La fourrure noire serait du plus bel effet avec la nouvelle décoration de sa chambre.

Joshua garda le silence en caressant sa barbe, il était traversé par un immense sentiment de satisfaction. Si elle pensait le vexer en s'attaquant à sa pilosité faciale, elle se mettait le doigt dans l'œil, il n'y voyait qu'une preuve supplémentaire qu'il avait fait le bon choix en refusant de se raser. Ils se combattirent du regard pendant un instant. Cela aurait pu durer bien plus longtemps mais Joshua finit par se sentir stupide et puéril devant ses iris flamboyants de colère. Après tout, il avait parcouru plus de cent miles uniquement pour s'enquérir de sa santé.

Une partie de son cerveau lui souffla : "Elle est vivante et assez en forme pour faire du cheval, rappelle ta voiture et rentre à Londres avant qu'elle ou le château ne te fasse perdre la raison". Mais Londres ne lui convenait pas davantage que le Gloucestershire.

Il soupira, ce qui ressemblait fort à un aveu d'échec.

– Mon père m'a écrit que vous aviez eu un accident dans la tour. Aidan n'a plus eu de nouvelles de vous depuis des jours. J'ai... Nous avons eu peur pour vous.

– Je lui ai écrit trois lettres, ainsi qu'à vous depuis que cela s'est produit pourtant. Pas très longues certes mais...

– Fourberies ! Je sens la marque de mon père ! Arranger la vérité à sa sauce ! Dissimuler des preuves ! Mentir s'il le faut pour obtenir ce qu'il veut ! Ça lui ressemble bien ! S'emporta-t-il sans lui laisser le temps de terminer sa phrase.

Il pesta en levant les bras au ciel pour le prendre à témoin de l'abjecte duplicité du comte qui s'amusait avec lui comme s'il n'était qu'un jouet. Intercepter les lettres de son épouse n'était que le dernier épisode en date d'une longue succession de forfaitures immorales et cruelles.

– Oui ! Cruelles ! Je persiste et signe.

– Joshua, vous êtes au courant que vous n'êtes pas dans un tribunal ? Et vous n'êtes pas avocat ?

Il baissa les bras, un peu gêné de son coup de sang.

– Peut-être les lettres se sont-elles perdues ? Ajouta-t-elle.

– Mr Alainn m'a tout l'air d'être un coursier compétent.

– Je sais. Et je ne veux pas qu'il ait d'ennui. Il est très sympathique.

– Alainn ? Sympathique ?

Joshua repensa à la mine patibulaire et aux sourcils broussailleux du messager engagé par Brogan. À titre personnel, il aurait employé d'autres adjectifs.

– Je trouve seulement que vous tirez bien vite des conclusions. Vous êtes dur avec le comte ! Il a été si peiné par vos dernières lettres ! Vous êtes devenu si distant au fil des jours alors qu'il attendait avec tant d'impatience des nouvelles de vous et depuis trois semaines plus rien. Il compte les jours vous savez ? Je peux comprendre que répondre à mon courrier ne vous intéresse guère mais...

– Trois semaines ! Et il trouve le temps long. Moi au moins je lui ai écrit. Lorsque j'étais enfant nous passions parfois des mois sans recevoir le moindre signe de vie. Et finalement nous arrivait une lettre où il nous disait combien il s'amusait, comme les paysages étaient beaux et la compagnie stimulante. Mais nous demandait-il comment nous allions ma sœur et moi ? S'enquerrait-il des sentiments de ma mère ? S'inquiétait-il de notre solitude, de l'isolement dans lequel il nous faisait vivre ? Jamais ! Et il est triste parce que je suis distant ! Parce que trois semaines c'est long !

C'était troublant de voir comment deux personnes pouvaient avoir des visions diamétralement opposées d'une même situation. Depuis des mois Jordan racontait à Cassandre son impossibilité de vivre auprès de sa femme à cause de son caractère instable, à quel point il s'en voulait de ne pas avoir été plus présent pour ses enfants. Et petit à petit, elle en était venue à penser que Joshua n'était qu'un sale petit ingrat de rester loin de ce père qui le chérissait tant.

Mais du point de vue de Blake la situation était bien différente. 

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant