Chapitre 59 (Partie 3)

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Avec horreur il s'aperçut que de la mousse blanche sortait des lèvres de Cassandre.

Artie se mit à hurler, pas comme un chien de vingt-cinq kilos mais comme un loup de soixante. Hadès, paniqué, décampa hors de la pièce.

Joshua était démuni, il lui bloqua la langue afin qu'elle ne s'étouffe pas, mais que faire d'autre. Son père arriva en sueur, Hadès le tirant par le peignoir. Cela devait faire des années que le vieil homme n'avait pas couru pour aller où que ce soit, sa peau avait viré au rouge brique et il soufflait comme une forge.

– Que se passe-t-il ? On doit entendre cette bête à Gloucester.

Artie se calma en le voyant et vint s'asseoir à proximité de sa maîtresse.

– Je l'ignore, Cassandre convulse.

Le comte se laissa tomber au sol, saisit le visage de sa belle-fille et l'examina un instant.

– Elle a été empoisonnée.

– Elle a bu mon porto, mais j'en avais déjà pris plusieurs verres.

Jordan se leva et renifla la bouteille.

– De l'eau du Léthé. Il y a l'aconit dans cette préparation jeune sot !

Il lança un regard rempli de tristesse et de déception à son fils.

– C'est un poison mortel même pour un meneur de loups.

Joshua se décomposa. Il la serra contre lui malgré ses spasmes, les yeux perdus dans le vide.

Ils plaisantaient il y a un instant seulement. Et il lui avait promis de ne plus la laisser.

– La potion bleue ! S'exclama alors Jordan. Il y a une potion ! Cassandre l'a préparé la semaine dernière. Elle et Arcas se sont rappelés de chansons et de poèmes que leur avait raconté leur arrière-grand-père, c'étaient des recettes. Celle-là purifie l'organisme d'un meneur, mais elle n'était pas certaine des proportions...

– Où est-elle père ? L'interrompit Joshua.

– Dans le laboratoire, à côté du distillateur. La fiole de verre bleue.

Joshua se leva d'un bond et se précipita. Il faillit percuter Christine et Ronald, qui alertés par les hurlements d'Artie, avaient accouru depuis les quartiers des domestiques.

Il prit l'escalier de la petite tour, le chemin le plus court, se moquant bien des fantômes à cet instant. Il fonça à travers la grande galerie, dégringola les volées de marches qui menaient au rez-de-chaussée puis aux cuisines, il saisit une lampe à huile, bondit dans la cave, faillit arracher la porte dérobée de ses gonds...

Il eut un moment d'arrêt...

Il n'était plus descendu ici depuis plus d'une décennie.

Mais chaque seconde comptait, il reprit sa course et manqua de perdre l'équilibre le long du couloir pentu et humide.

Arrivé dans le laboratoire, il repéra immédiatement la fiole, là où son père le lui avait indiqué, il s'en empara et recommença sa course cette fois-ci dans le sens inverse.

Il se reprocha mille fois d'avoir abandonné depuis si longtemps son entraînement de boxe. Le souffle lui manquait. Et c'est incapable de parler qu'il donna le flacon à son père qui réfléchit une seconde et dilua quelques gouttes de liquide dans le verre d'eau que lui tendait Christine.

– Maintenant, il faut lui faire boire.

Mais c'est à peine s'ils arrivaient à contenir ses saccades.

Joshua, poussa Ronald, ceintura Cassandre, appuya sur ses maxillaires, ce qui lui fit ouvrir la mâchoire et demanda à Christine de verser le contenu du verre dans sa bouche. La réaction ne se fit pas attendre, lady Blake se mit à vomir.

À chaque fois qu'elle semblait en avoir fini, ils lui faisaient boire à nouveau du remède et cela recommençait, à un point que le majordome demanda au comte si ce traitement n'était pas pire que le mal.

Durant plus d'une heure, Cassandre dut endurer son calvaire.

Jordan finit par hocher la tête et s'essuya le front d'un revers de manche.

– Elle est tirée d'affaires je pense. Elle a besoin de repos à présent, il faut la reconduire dans sa cham...

– Elle reste là, asséna Joshua.

Ronald qui terminait de refaire le lit de lord Blake acquiesça, prit les draps sales, le seau et sortit.

– Je vais changer Milady, elle ne peut pas rester comme ça, déclara Christine qui fit sortir les deux messieurs manu militari.

Dans le couloir le comte et son fils se faisaient face.

– De l'eau du Léthé ! Je savais que tu ne voulais plus entendre parler de tes pouvoirs mais de là à prendre un inhibiteur. C'est peut-être efficace mais c'est dangereux, et le laisser traîner ! N'importe qui d'ordinaire serait malade à crever en buvant une merde pareille ! C'est pour ça que tu as si mauvaise mine ! Mais de l'aconit sur un meneur ! Tu aurais pu la tuer.

Le comte donna une claque retentissante à Joshua qui ne broncha même pas.

– Je vais veiller sur elle, continua le vieil homme.

– Non ! Vous retournez dans votre chambre. C'est moi qui la surveillerai.

– Tu me donnes des ordres. Je te trouve de plus en plus impertinent et autoritaire.

– C'est ma femme. C'est ce que vous vouliez. Non ?

– Je l'aime comme ma fille.

– Vous en avez déjà eu une et ça ne l'a pas sauvée.

Le dos du comte se voûta, il retourna à ses appartements, le pas traînant, la tête basse.

C'était un coup bas. Joshua le savait. Il se laissa aller contre le mur.

« C'était pas gentil Joshi ! Faut pas être grognon comme ça. » La petite voix flûtée lui parvenait comme un écho lointain. Son petit lutin était-elle là ce soir ? Était-ce juste une réminiscence due à un sentiment de culpabilité ?

– Je suis fatigué, murmura-t-il. Seul le silence lui répondit.

Joshua rentra dans sa chambre. Christine finissait de boutonner la chemise de Cassandre dont la tête dodelinait comme un bateau sans amarre un jour de tempête.

–Allez-vous coucher Christine.

– Milord ! Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais je suis sûre d'une chose, il ne faut pas qu'elle reste ici, les chutes, ça... C'est trop, même pour elle.

– Bonne nuit, Christine.

La femme de chambre esquissa une révérence et s'éclipsa.

Artie sauta sur le lit et alla se coller contre le flanc de sa maîtresse qui dormait déjà, Hadès se coucha le long de la porte comme pour les protéger du monde extérieur.

Joshua s'allongea et attira Cassandre à lui. Elle tremblait comme un faon, il posa sa main sur celle recouverte de bandages de son épouse, elle lui paraissait minuscule.

– Je ne vous laisse pas, c'est promis. Mais en retour, ne me laissez pas non plus, lui murmura-t-il. Il caressa la tête d'Artie qui lui donnait de petits coups de museau pour se trouver une place confortable.

– Ce Porto a toujours été bizarre, grogna-t-il à haute voix.

Il aurait aimé être surpris, mais ce n'était pas vraiment le cas. Il ne fallait pas confondre sa volonté de se leurrer avec de la bêtise. Pourtant, il ne pouvait plus faire semblant, il ne pouvait pas ne pas voir la vérité pour une simple question de confort. Pas quand Cassandre ressemblait à un petit oiseau blessé entre ses bras et que sa respiration rauque lui fendait l'âme.

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant