Chapitre 58(partie 2)

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Brogan l'avait raccompagné chez lui où son majordome l'avait fait passer d'une voiture à l'autre.

– Milord a une mine abominable, dit-il d'une voix guindée où transparaissait sa désapprobation.

– Merci John.

Le serviteur s'empara de sa bouteille de porto, toujours sous son bras et la rangea dans le coffre sous le siège de sa berline noire. Il lui tendit un mug de café noir bouillant en échange.

Sans lui demander son avis, il prit une serviette humide et lui colla sur la figure avant de frotter furieusement.

– Vous me prenez pour un plat à tarte ? S'époumona le jeune lord en le repoussant, renversant au passage la moitié de son café sur sa chemise.

Si sa barbe n'avait pas pris un angle improbable suite à ce traitement, John aurait peut-être pris peur devant son regard furibond. Il se contenta d'afficher une moue critique devant le résultat.

– Griffin ! Appela-t-il le jeune valet juché à côté du conducteur. Lorsque vous serez à l'auberge du prince Edward, vous veillerez à ce que lord Blake prenne un bain et soit présentable. Si cela est possible. Pauvre lady Blake ! J'espère qu'elle survivra.

– Vous pensez qu'elle est si gravement blessée ? L'interrogea le colosse.

– Je pensais au choc que la délicate enfant aura en voyant ce... spectacle, dit-il en désignant d'un geste ample son employeur.

– John ! Gronda Joshua entre ses dents. Le majordome n'eut pas la bonté de prendre un air effrayé et contrit devant ce rappel à l'ordre. Il se contenta de claironner un "bonne route milord" en levant le nez en l'air, avant de tourner le dos à lord Blake et rentrer dans le manoir londonien.

Aidan accoudé à la portière noire, dans une tentative pitoyable, essayait de garder un visage stoïque.

– Fichu irlandais ! Ça te fait rire ?

Aidan donna une claque dans le dos de Joshua et descendit du marchepied de la voiture.

– Sois prudent ! Et envoie-nous rapidement des nouvelles de Cassandre.

Joshua hocha la tête.

– Et si tu pouvais te remettre en état en passant. Tu es verdâtre.

– Foutaises ! Je suis en forme, toujours égal à moi-même.

– Bien sûr ! Égal à toi même si tu avais passé trois semaines dans un caveau humide. En étant mort. Évidemment.

– Tu es un furoncle sur mon existence.

– Tu ne veux plus me faire un câlin ?

Joshua grogna et claqua la portière de sa berline noire.

– Occupe-toi de ton...

Aidan n'entendit pas la fin de sa phrase, la voiture partit à tombeau ouvert.

Le trajet était bien plus rapide en train mais il semblerait qu'on avait décidé pour lui, qu'il ne serait pas prudent d'attendre quelques heures le prochain en partance pour Gloucester. Il aurait pu changer d'avis après tout et retourner se cacher comme un petit garçon apeuré dans les jupes de la baronne Mannings.

Il disposait donc d'un temps infini pour un tête à tête avec lui-même. Au bout d'une heure, il en vint à la conclusion que sa propre conversation était plutôt ennuyeuse.

Dans une superbe écritoire de voyage en loupe de noyer que son père lui avait ramené d'Italie pour ses quinze ans et que John avait déposé sur la banquette en face de lui, on avait mis son courrier des semaines passées. Il tria d'abord les lettres consciencieusement, du moins autant que sa migraine lancinante, couplée à sa gueule de bois carabinée le lui permettait.

Il répondit d'abord à tout ce qui avait à trait à la bonne marche du comté, puis aux autres biens de la famille, des instructions étaient envoyées au gré des haltes le long de la route, il voulait rétablir l'ordre rapidement, cette situation n'avait que trop duré. Ses employés semblaient courir dans tous les sens comme des canards sans tête. Rien de fâcheux ne s'était produit mais il était inquiétant de voir qu'il ne pouvait compter sur personne pour prendre des décisions en son absence. Les arrêts dans des auberges ou des relais ne manquaient pas.

Il fallait que les bêtes se reposent régulièrement, voilà l'inconvénient d'utiliser une voiture à cheval sur de si longues distances, les hommes devaient se restaurer et lord Blake achetaient des litres de café noir pour l'aider à rester réveillé.

Enfin, après avoir régler les monceaux d'affaires courantes, il saisit la correspondance de son père.

Le comte lui servait son mélange habituel de reproches saupoudrés de culpabilisation latente sans rien lui apprendre d'important, agacé il les jeta les unes après les autres par la fenêtre.

– Une bonne chose de faite.

Il ne restait que les lettres de Cassandre. Il fit tourner les billets de la jeune femme entre ses doigts un long moment avant de les ouvrir. Ils portaient son parfum délicat et lui faisait penser avec une certaine nostalgie à leur tête à tête dans la bibliothèque, si l'idée de briser le joli cou de son épouse l'avait parfois effleuré, il ne s'était pas ennuyé un instant en sa présence.

Il déplia la première. Elle ne le sermonnait pas, ce qui avait le mérite d'être rafraîchissant. Elle se contentait de lui faire le compte-rendu détaillé de tout ce qui se passait à Churbedley et Cattown. Elle était amusante, il fallait l'avouer, la façon dont elle décrivait cette mégère de Stampton, le fit bien rire. Elle lui racontait aussi le livre noir que Jordan lui faisait copier, ce qui lui fit lever les yeux au ciel, et plus inquiétant ses rencontres avec Adrianna. Il frissonnait en lisant ses mots et seul le fait de savoir Cassandre blessée et sans défense le convint de ne pas rebrousser chemin.

La nuit venue, ils firent halte dans la fameuse auberge du prince Edward, connue pour la propreté de ses chambres et son canard en croûte. Lord Blake y avait été récuré à la brosse en chiendent, mais avait refusé d'être rasé. Il aimait bien la barbe finalement. Il trouvait qu'elle lui donnait un air encore plus digne que les favoris et la moustache. Il passa une bonne vingtaine de minutes le lendemain à caresser le buisson qu'il lui couvrait la figure devant le miroir de sa chambre en prenant son petit déjeuner avant de reprendre la route.

Par la fenêtre, il voyait les paysages familiers de sa campagne, il reconnaissait ce rocher sur lequel il avait pique-niqué un jour et cet arbre à la limite du comté où l'on avait pendu une dizaine de sorcières. Leurs esprits se balançaient toujours, au rythme d'une brise ancienne de deux cents ans.

Surtout ne pas croiser leurs regards.

Il y avait fort à parier que ces pauvres femmes n'aient été que les victimes de rumeurs insensées, mais il préférerait ne pas avoir à frayer avec les victimes de la chasse aux sorcières de Jacques Ier

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Il y avait fort à parier que ces pauvres femmes n'aient été que les victimes de rumeurs insensées, mais il préférerait ne pas avoir à frayer avec les victimes de la chasse aux sorcières de Jacques Ier. Le fils de Mary Stuart, roi d'Écosse et d'Angleterre, s'était senti investi d'une mission personnelle, il devait chasser les sorcières qui menaient des sabbats dans son royaume. Il avait alors rédigé un traité : Daemonologie, qui avait servi de support à la vague de procès en sorcellerie qui avait sévi à la charnière du XVIème et du XVIIème siècle et qui s'était répandue dans le pays, jusque dans les colonies américaines, dans la ville de Salem tristement célèbre entre autres. Avec le Malleus Maleficarum : le marteau des sorcières de l'inquisiteur Henri Institoris, on pouvait dire que ces deux livres comptaient à eux seuls des milliers de victimes.

Joshua ne releva la tête que lorsque le château fut en vue. 

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant