Chapitre 58 (Partie 4)

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Phineus, le père des jumeaux avait laissé sa famille derrière à de maintes reprises lui aussi et même si Cassandre avait parfois ressenti un sentiment d'abandon, elle savait que son père les aimait son frère et elle et qu'il adorait leur mère, même s'ils se taquinaient en permanence tous les deux. Et jamais il n'aurait passé une semaine sans leur écrire, demander des nouvelles et donner des ordres, beaucoup d'ordres, presque jamais suivis sois dit-en passant. Mais même au loin, il était présent dans leurs vies.

Elle avait alors pensé, très naïvement, que les couples étaient tous construits sur le même modèle que celui de ses parents pour qui une dispute n'était qu'une petite animation au bord de la route, on ralentissait, profitait un peu du spectacle et on reprenait gentiment son chemin. Mais pour Jordan et Noémie, c'était à se demander s'ils allaient seulement dans la même direction et la moindre anicroche devenait un sanglant carambolage. Joshua et Adrianna avaient été les témoins de cette relation toxique. Le petit garçon avait dû prendre parti. Il avait d'abord tout naturellement choisi celui de sa mère. Elle était là, prenait soin de ses enfants à sa façon. Mais la maman tant aimée, était devenue un bourreau. Alors il s'était tourné vers son père... Mais qu'avait fait Jordan une fois sa femme décédée et son fils remis sur pied ? Il l'avait renvoyé en pension et avait rejoint l'Espagne si Cassandre se souvenait bien d'où il avait entraîné son propre père cette année-là.

La mémoire lui revenait d'un soir d'hiver : Arcas et elle jouant sur le tapis usé, dans la bibliothèque d'Arlon ; sa mère, les mains posées sur le ventre, faisant la tête parce qu'elle ne voulait pas que son mari parte à nouveau ; Horos, toujours en vie et disant à son petit-fils qu'il devait rester dans le Lot auprès de son épouse ; mais Bronson s'était levé de son fauteuil et avait alors déclaré qu'il avait besoin de soleil et de la présence de son ami. Quelque chose comme ça, elle n'était plus très sûre. Les petits soldats de plombs étaient alors bien plus intéressants que la conversation des grandes personnes à ses yeux.

Cet hiver, pendant que Phineus s'amusait en parcourant la péninsule ibérique, sa mère avait perdu son bébé, elle n'était plus jamais retombée enceinte. Cassandre avait complètement oblitéré cette histoire de son cerveau, elle avait même oublié la toute petite tombe de l'enfant mort-né sous le lilas dans le cimetière familial. Amélia n'en parlait jamais. Elle eut un frisson et son frère lui manqua à cet instant comme jamais. Elle faillit défaillir mais se reprit. Ce n'était pas le moment de se laisser engloutir par le passé.

Oui, Jordan s'était bien souvent comporté comme un égoïste.

Joshua avait plus de raisons que quiconque d'être en colère contre lui, c'était à se demander comment il avait pu tenir durant tant d'années sans l'envoyer au diable.

Mais ce n'était pas dans sa nature. Cela pouvait paraître ridicule alors qu'elle ne l'avait côtoyé que quelques semaines, et encore n'avaient-ils passé leur temps qu'à se quereller, mais elle le sentait au plus profond de son être.

– Le comte est loin d'être parfait, finit-elle par dire. Vous l'avez toujours su. C'est un vieil homme, je doute qu'il change un jour. Mais jusqu'à présent vous n'aviez pas suivi son exemple. Continuez. Je vous en prie.

Il avait l'impression d'être pris en faute et attendit le sermon. Un sermon qui ne vint pas.

– Enfin au moins vous êtes là maintenant, finit-elle par dire.

Les épaules de Cassandre se relâchèrent, comme si elle n'avait tout simplement plus l'énergie d'être sur la défensive et il se rendit alors compte à quel point elle avait l'air abattue, petite et fragile, avec ses cernes sous les yeux, son teint grisâtre et ses joues creuses. Lorsqu'elle voulut retourner à son cheval, il la saisit par le poignet et elle poussa un petit cri de douleur.

Hadès et Artie gémirent pour leur maîtresse.

Inquiet, il s'approcha d'elle et souleva son bras, il vit alors que ses doigts étaient recouverts de bandages, il en devinait aussi sous sa manche.

– Mais que vous est-il arrivé ?

– J'ai eu un accident dans la petite tour, vous le savez.

– Je pensais que vous vous étiez... je ne sais pas moi... tordue la cheville.

– Je suis passée à travers la fenêtre de la tour.

Elle le vit blêmir.

– Vous êtes tombée par la fenêtre, mais elle est à des dizaines de mètres du sol !

– Si j'étais tombée, je serais morte voyons ! Je me suis accrochée au rebord, mais les éclats de verre m'ont cisaillée les doigts.

– Mais vous avez réussi à vous hisser ?

– C'était comme si on me tirait vers le bas. Heureusement Artie s'est transformée et m'a remontée.

– Elle est censée pouvoir faire ça ? En plein jour ?

– Non certainement pas ! S'exclama-t-elle avec une certaine excitation dans la voix. C'était épatant. Elle est merveilleuse.

– Ça on le savait déjà. Il fit un clin d'œil à la chienne qui savait parfaitement qu'on parlait d'elle et accepta avec une dignité tranquille le compliment.

Il tira sur une des bandes pour voir en dessous.

– Ce n'est pas très beau.

– En temps normal, je cicatrise plus vite. Depuis l'accident cependant je me sens si fatiguée. Je l'étais avant, il y a eu beaucoup de travail et je ne dors pas très bien mais...

Il posa sa main sur sa joue et preuve de son épuisement sans doute, elle se laissa aller contre lui.

– Je suis là, murmura-t-il à son oreille.

– Vous n'avez pas l'air plus en forme que moi, maugréa-t-elle.

Il rit en enfouissant son nez dans ses cheveux, il inspira profondément son parfum de rose et de verveine.

– Vous êtes en train de me renifler ? S'insurgea-elle sans pour autant retirer sa joue de sa cravate en soie.

– Bien sûr que non ! Pourquoi ferais-je une chose pareille ?

– Parce que vous êtes vraiment devenu un ours ? Je comprends mieux pourquoi vous ne donniez plus de nouvelles. Vous hiberniez en fait. 

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant