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Marine revint environ dix minutes plus tard, serrant contre son cœur le journal en question. Les deux sœurs décidèrent de le lire intégralement. Il commençait lors de l'adolescence de leur mère, avec ses premiers émois amoureux.

D'après le carnet, cette dernière avait eu pas mal de succès et était alors un vrai cœur d'artichaut. Elle y racontait plus tard sa crise d'adolescence, ses parents qui ne la comprenaient pas (Christiane surtout), puis la découverte de ses pouvoirs. Patricia les avait découverts pour la première fois après une dispute mémorable avec sa mère : elle était parvenue à bloquer cette dernière à l'extérieur de sa chambre, puis à se « télétransporter » ailleurs, auprès de son petit-copain de l'époque. Sa magie s'était à nouveau manifestée, à l'école cette fois-ci, ce qui n'avait pas échappé à l'un de ses professeurs avec qui elle avait cours ce jour-là. La jeune fille avait en effet modifié la note et les appréciations qu'elle avait eues à son contrôle, d'un simple claquement de doigts (elle n'avait pas révisé et devait faire signer sa copie à ses parents). Mais la professeure en question n'était pas une simple enseignante, c'était une pisteuse. Et deux semaines plus tard, leur mère avait dû affronter un évènement particulier : le test d'entrée à la formation des ensorceleuses.

Ça y est, les deux sœurs étaient parvenues au passage qu'elles attendaient :

« Cher journal, aujourd'hui il s'est passé quelque chose d'étrange. Des hommes et des femmes que je n'avais jamais vus sont venus me trouver pour que je les accompagne camper dans une forêt lointaine. Je n'avais pas envie de les suivre, mais comme cela me permettait de ne pas dormir chez moi, j'ai bêtement accepté. Lucien n'était pas là ce week-end, il rendait visite à de la famille éloignée et je ne pouvais pas l'accompagner.

Au début, tout s'est bien passé, mais à partir du coucher de soleil, tout est allé de travers. Notre conducteur était reparti, il faisait froid, nos lumières s'étaient toutes éteintes... Nous commencions vraiment à grelotter et à être terrifiés : nous entendions comme des bruits d'animaux sauvages : des loups probablement.

Les bruits se rapprochaient et j'étais de plus en plus inquiète. Et puis, à un moment, j'ai deviné qu'il était là, le prédateur. Je ne pouvais pas l'apercevoir, mais je le sentais. Et tout d'un coup, le feu s'est allumé, nos torches aussi. Il faisait à nouveau bon et on y voyait à nouveau. Mais l'animal également. Lorsque ce dernier m'a foncé dessus, je me suis protégée avec mes mains et j'ai fermé les yeux. Je suis restée quelques secondes dans cette position, mais aucune attaque n'est venue. Et lorsque j'ai rouvert mes paupières, il n'était plus là.

Tous les autres me regardaient comme s'ils pensaient que c'était moi qui avais déclenché tout cela (le feu, les torches, la fuite du loup). J'ai subitement eu envie de prendre la fuite ; je voulais qu'ils arrêtent de me dévisager. J'ai tout juste eu le temps de les entendre dire : "elle a réussi le test" que le paysage de la forêt s'est effacé et que je me suis retrouvée devant la porte de la maison. Ma mère était assise sur les marches, la tête posée dans les mains. Lorsqu'elle m'a aperçue, elle a couru vers moi et m'a prise dans ses bras. Puis elle a relâché sa prise, regardé derrière moi puis m'a tirée dans la maison avant de fermer la porte à double tour.

Cette dernière m'a demandé de tout lui raconter. J'avais peur qu'elle me prenne pour une folle, mais je lui ai quand même tout dit. Et à ma grande surprise, ma mère m'a crue et plus encore, elle m'a appris qu'elle était une ensorceleuse et que, comme moi, elle avait subi le test, le même test. Elle m'a ensuite raconté ce qui allait suivre : j'allais recevoir une lettre, suivre une formation dans un château situé dans une ville appelée Lac. J'allais devenir une ensorceleuse. Ma vie allait changer pour toujours. »

Océane venait d'accomplir sa mission. Elle envoya un message à Laurent pour le lui annoncer et continua de lire le journal avec sa sœur. Leur mère y racontait qu'une semaine et demie plus tard elle avait reçu une lettre et qu'environ six mois plus tard, elle avait entamé sa formation.

Patricia y détaillait sa nouvelle vie, ses nouvelles copines et sa rencontre avec son nouveau copain. En réalité, ce n'était pas un nouvel homme qui était arrivé dans sa vie mais quelqu'un qu'elle connaissait depuis très longtemps, voire peut-être depuis toujours : son voisin d'enfance. Depuis tout petits, ils jouaient ensemble, mais la jeune fille ne l'avait jamais envisagé autrement qu'en ami (il était presque comme un frère). Elle avait intégré la formation des ensorceleuses et lui, celle des combattants et tout avait changé. Cet homme, c'était leur père.

Patricia racontait de moins en moins de choses : quelques données sur le déroulement de la formation, quelques éléments sur sa relation avec ses parents, qui s'était beaucoup améliorée, sa vie avec Luc... Puis vint le retour à la vie réelle, son mariage, la naissance de Marine, puis celle d'Océane. Il y avait quelques détails sur leur nouvelle vie à trois puis à quatre. Puis son inquiétude quant au fait que tout recommençait : elle avait remarqué le talent de Marine et les nombreux talents d'Océane. Patricia avait peur qu'on lui enlève ses filles, mais continuait à faire comme si de rien n'était. Elle sentait qu'il n'y en aurait plus pour longtemps. Il ne restait plus qu'une seule page dans le journal et c'était la veille de l'anniversaire d'Océane : elle ne comportait qu'une seule phrase : « je sens que quelque chose se prépare ». La dernière page du journal de leur mère, ses derniers mots. Car juste après, celle-ci était morte.

Lac [Terminée] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant