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Laurent

Non, ce n’était pas possible : la reine ne devait pas mourir dans sa chambre, pas aujourd’hui en tout cas. Il n’avait pas eu de nouvelle vision… Et pourtant, l’alarme avait retenti : Océane allait devenir leur nouvelle reine.

Une question subsistait : si Émilie était morte, qui avait crié ? Il était quasiment certain que c’était la voix de la reine…

Il se précipita dans la chambre de cette dernière, Océane sur ses talons ; Jules leur permit d’entrer. C’est alors que Laurent comprit : la reine n’était pas morte, elle était devenue folle. Ne s’étant concentré que sur sa mort, il n’avait pas pu anticiper son état…

Des guérisseurs venaient de lui administrer une dose de tranquillisants, ce qui la plongea dans un coma léger. Même dans son sommeil, Émilie ressemblait à une folle : ses cheveux partaient dans tous les sens et se dressaient sur sa tête et elle était blanche comme de la craie ; elle aurait détesté se voir comme ça.

Laurent n’avait rien pu faire pour sauver les deux reines précédentes, mais il espérait bien parvenir à protéger Océane.

Jules

Voilà, Océane était reine à présent. Le destin s’était accompli.

Océane

Elle était reine.  La jeune fille aurait dû se réjouir (elle allait enfin pouvoir sauver sa sœur), mais cela la terrifiait également… Était-elle condamnée, comme les reines précédentes ? Et si oui, combien de temps lui restait-il à vivre ?

Laurent

En attendant le couronnement d’Océane, Laurent s’était rendu à sa formation d’Oracle. Mais là, Jules l’avait arraché à son cours pour un entretien privé, sans doute pour parler d’Océane.

Étant donné la haine que le président avait toujours manifestée à son égard, Laurent était presque tenté de refuser sa demande. Mais il s’était souvenu que ce dernier était condamné et qu’il n’aurait peut-être plus l’occasion de savoir ce qu’il manigançait. L'Oracle le suivit donc en silence, dans sa chambre, ou plutôt sa suite. Pourquoi  Jules l’avait-il amené ici ?

Laurent commençait à regretter d’avoir accepté : il était mal à l’aise. Le président du Conseil s’en aperçut et l’invita à s’asseoir dans un fauteuil confortable, devant une table basse où l’attendait une tasse de thé fumante. Il lui précisa que le thé n’était pas empoisonné et L'Oracle en but finalement une gorgée.

– Tu dois probablement te demander pourquoi je te vois seul à seul…

Laurent hocha la tête.

– Eh bien, je tenais à te rassurer. Je sais bien que tu as fait tout ce qui était en ton pouvoir pour maintenir en vie les reines précédentes. Tout ça pour protéger Océane.

Laurent ne lui demanda pas comment il pouvait être au courant. Rien n’échappait jamais à Jules.

– J’ai visiblement échoué dans ma tâche.

– Parce que tu ne pouvais rien pour elles. Personne n’a le pouvoir de contrarier le destin. Tu es parvenu à le ralentir, beaucoup plus que je ne l’aurais cru d’ailleurs, mais il a fini par trouver une faille et par s’accomplir. Ne te blâme pas pour ça. En réalité, le fautif, c’est moi…

Laurent était sous le choc. Qu’arrivait-il donc à Jules pour qu’il se confesse avec une telle sincérité ?

– Ce n’est pas toi qui les as mises dans cet état pourtant…

– Si, en quelque sorte. Sais-tu ce qui arrive aux reines qui ne sont pas destinées à régner ?

Laurent fit un non de la tête.

– Elles meurent… le plus souvent. Ou deviennent folles. Ne t’inquiète pas pour Océane, cela ne lui arrivera pas. C’est elle la reine légitime. Et c’est pour qu’elle puisse accéder au trône que les deux autres ont été destituées. La malédiction va cesser.

Laurent ne comprenait toujours pas où Jules voulait en venir.

– Pourquoi me dis-tu ça ? Tu es calculateur. Qu’attends-tu de moi ?

Jules eut un sourire de dépit. La réaction de Laurent n’était pas surprenante. Il n’avait jamais cherché à aider le jeune homme, bien au contraire : il lui avait toujours mis des bâtons dans les roues.

– Parce que je vais bientôt mourir… J’ai conscience des mauvaises actions commises dans ma vie et j’espérais avoir une chance de me rattraper. Un peu du moins. J’ai toujours témoigné beaucoup d’hostilité envers Océane, mais je suis à présent convaincu qu’elle est faite pour être reine. Je ne dis pas que je l’apprécie, mais je tâcherai de l’aider de mon mieux. En dépit de ce que tu peux penser de moi, je tiens profondément au bien-être du royaume. J’avais peur qu’Océane le transforme en profondeur… C’est pour ça que j’étais prêt à tout pour l’éloigner de la couronne. Mais j’ai compris qu’elle n’était pas destinée à détruire le royaume ; elle est au contraire la seule en mesure de le sauver.

Laurent le croyait. Mais il ne voyait toujours pas pourquoi c’était à lui que Jules se confiait et non pas à Océane. C’était elle qui était directement concernée après tout. C’était sa confiance à elle qu’il devait obtenir.

– Je te crois, mais pourquoi m’en parler à moi plutôt qu’à Océane ?

– Je comptais le faire, mais je tenais à te rassurer avant. Je savais que tu t’en voulais et que tu craignais pour sa vie. En guise d’excuse, je voulais t’accorder cette paix. Regarde-toi, tu n’as pas dû dormir normalement depuis plusieurs mois. Tu es fatigué et tu as l’air à bout de nerfs… Il faut que tu redeviennes toi-même si tu veux être en mesure de l’aider. Ça vaut ce que ça vaut, mais j’ai déjà proposé à Tom de reprendre sa place au Conseil et si tu es d’accord, il en va de même pour toi. Je suis désolé pour tout ce que j’ai fait. Je ne te demande pas d’oublier ni de me pardonner ; juste de me laisser une chance de me racheter.

– J’accepte de reprendre ma place au Conseil. Mais va parler à Océane. Je ne peux en aucun cas parler en son nom.

Jules sembla hésiter à lui poser une dernière question :

– Tu n’as pas eu l’air étonné quand je t’ai révélé que j’allais bientôt mourir… Tu étais déjà au courant ?

– Océane a eu une vision cette nuit. Elle m’en a parlé ce matin. Je suis désolé.

– Bien sûr… c’est gentil de me dire ça. À moi de faire en sorte que tu sois réellement désolé lorsque je rendrai l’âme. Merci d’avoir raté ton cours pour me permettre de te parler. On se voit tout à l’heure pour le couronnement. Et ce soir, lors du Conseil.

Laurent quitta la pièce et consulta sa montre ; il était trop tard pour retourner en cours. Il choisit alors d’attendre l’ouverture du réfectoire. Cette entrevue lui avait au moins permis d’avoir la conscience tranquille et d’être un peu plus rassuré concernant Océane. Elle allait vivre. Il fallait qu’elle vive. Pour elle, pour Marine, pour le royaume… et pour lui.

Lac [Terminée] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant