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Océane se leva de bonne heure le jeudi matin : elle avait cours d’élégance et de guérison.

Concernant le premier, la jeune fille n’avait aucun doute sur le fait qu’elle n’impressionnerait personne (voilà une discipline dans laquelle elle ne brillerait certainement pas). La matinée lui donna raison : l’élégance, ce n’était pas son truc. Pour le premier cours, on évalua leur manière de s’habiller, de marcher, de s’exprimer et même de manger. Océane avait surpris le regard moqueur des autres prétendantes et le regard désapprobateur de la formatrice. Elle avait également surpris une conversation entre ses rivales:

— Regardez-moi ça. On dirait qu'elle est en pyjama.

— Oui, elle n'a vraiment aucune allure.

— Elle ne sait même pas se tenir correctement...

— Et vous avez vu sa façon de marcher ?

— Et encore, ce n'est pas le pire. Elle ne sait même pas tenir sa fourchette comme il faut.

Océane se promit intérieurement de faire des efforts la prochaine fois, pour ne plus avoir à subir une telle humiliation.

Le cours suivant fut plus à son avantage. Océane partait avec un atout certain : elle connaissait les plantes et leurs effets sur la santé des hommes. Mais l'adolescente se souvint de l’avertissement de Laurent ; il ne fallait pas qu’elle se fasse trop remarquer. Alors, avec un soupçon d’amertume et de frustration, elle se contenta de suivre les instructions données par le formateur.

La leçon du jour concernait un remède contre la lapoïdose, une maladie touchant de nombreuses personnes dans le royaume et consistant en une sorte de rhume très virulent qui provoquait des brûlures. Pour cela, une tisane à base de gingembre, de miel, de cannelle, de clou de girofle, de curcuma, de thym et de genévrier était préconisée. Tout cela était bien joli, mais cela traitait uniquement le rhume et ne soulageait en rien les blessures engendrées. Océane savait qu’il aurait fallu associer ce traitement à un cataplasme à base de millepertuis, de camomille et d’Aloès. Mais elle n’en fit rien et se contenta de préparer le breuvage en sélectionnant avec le plus de pertinence possible les ingrédients. Son remède était le plus réussi de tous, bien que très banal : elle était satisfaite.

Océane était de bonne humeur : on était vendredi et donc bientôt le week-end. Le cours de voyance l’intriguait. L'adolescente avait toujours eu de l’intuition et avait même parfois fait des rêves prémonitoires. Son sang se glaça dans ses veines à ce souvenir : la dernière fois qu’elle avait fait un tel rêve, ses parents avaient perdu la vie. Ce fut donc avec une certaine appréhension qu’Océane entra dans la salle.

Elle fut tout de suite émerveillée par la pièce. Cette dernière était remplie de cristaux, bougies et luminaires. Une délicieuse odeur d'encens emplissait les lieux. Plus extraordinaire encore, le plafond ressemblait à un ciel étoilé. Océane se sentit très vite beaucoup mieux.

Dans ce cours, on ne regardait ni dans les cartes, ni dans les lignes de la main, ni dans une boule de cristal, ni dans les tasses de thé, ni même dans les constellations… ici, on lisait à l’intérieur de soi. C’était un travail exigeant et qui requérait une intense concentration. Mais la jeune fille finit par y parvenir. D'un coup, la pièce autour d'elle s'effaça ; tout devint blanc et brumeux. Et alors, elle put assister à une scène terrifiante : le royaume était à feu et à sang. Et entre les flammes, une silhouette émergea : celle de sa sœur. Cette dernière semblait entièrement possédée : habillée tout en noir, les cheveux dressés sur sa tête et des armes en mains, elle avait un sourire victorieux et pervers sur le visage.

Sa vision prit subitement fin et les contours de la salle redevinrent visibles. Elle mit du temps à se remettre de ce qu'elle venait de voir. Par chance, les autres prétendantes et la formatrice étaient occupées et n'avaient rien remarqué. Cette dernière faisait le tour des candidates en leur demandant à chacune ce qu'elles avaient vu. Lorsque ce fut le tour d'Océane, cette dernière mentit et fit mine de n’avoir anticipé que le changement brutal de temps qui allait se produire. Elle aperçut le regard désabusé que lui lança l'enseignante mais Océane ne pouvait pas lui annoncer qu'elle avait aperçu la fin du royaume. Et encore moins que sa sœur en était l'origine.

C’est encore tout apeurée que la jeune fille arriva au cours de magie, la discipline qu’elle avait le plus hâte d'étudier. Son professeur l'accueillit avec beaucoup d'enthousiasme : elle avait bien connu Christiane et plaçait donc beaucoup d'espoir en sa petite fille. Contrairement aux autres formateurs, celle-ci était extrêmement jeune, joviale et positive. Elle ressemblait à une fée, en plus grande et sans ailes.

Le but de ce premier cours était d’utiliser la magie pour se défendre. Créer un bouclier magique était l’un des actes les plus élémentaires, mais il exigeait du temps afin d’être parfaitement maîtrisé. Une heure passa, puis deux et peu étaient les prétendantes à avoir réussi à créer un bouclier, même partiellement. Bien sûr, Océane en faisait partie.

Au bout de cinq heures, la formatrice décida de tester leur bouclier et, afin de les inciter à donner le meilleur d’elle-même, elle fit mine de leur jeter, tour à tour, un couteau. Les prétendantes étaient alignées côte à côte. Océane fermait la marche. Toutes arrivèrent à protéger leur corps du couteau, certaines de façon plus étendue que d’autres. Le bouclier de Claire et Émilie, par exemple, recouvrait tout leur corps alors que celui de Gisèle et Gwenaëlle ne protégea que la partie visée. Océane se prépara à parer le coup : son tour était arrivé.

Mais alors, il se passa quelque chose d’inattendu : ce ne fut pas Océane qui fut visée, mais Claire, la première des prétendantes, donc la plus éloignée. La dixième concurrante réagit instinctivement : son bouclier s’étendit sur toute la largeur de la pièce et protégea cette dernière. Elle se rendit compte trop tard de son erreur : la formatrice avait fait exprès et les couteaux n’étaient pas des vrais, même s’ils y ressemblaient atrocement. Cette dernière avait voulu la tester et avait réussi son coup d’une main de maître.

Océane savait qu’elle venait de faire forte impression. Et elle savait aussi que c’était précisément ce qu’elle avait prévu d’éviter.

Le week-end arriva. Océane espérait trouver un moment pour voir sa sœur et discuter avec elle. L'adolescente l’avait observée de loin toute la semaine ; celle-ci était constamment occupée. Mais elle n’oubliait pas pour autant la promesse qu’elle avait faite à sa grand-mère. De loin, il lui était malaisé d’observer un changement de comportement. La jeune fille était décidée à ruser ; si d’ici le lendemain, sa sœur lui était tout aussi inaccessible, elle solliciterait l’aide de Tom pour s'entretenir avec Marine en toute discrétion.

Mais Océane n’eut pas besoin de recourir à un tel stratagème : sa soeur la rejoignit dans sa chambre aux alentours de trois heures du matin. Elles se racontèrent leur semaine en prenant bien soin de ne pas aborder la mort de leur grand-mère. Océane était rassurée : Marine serait peut-être un monstre à l’avenir, mais pour l’instant, c'était toujours sa soeur.

Marine retourna dans sa chambre : elle ne pouvait pas s’attarder, quelqu’un risquant de s’apercevoir de son absence. Océane se rendormit jusqu’au lendemain.

Lac [Terminée] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant