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Laurent

Et voilà, Laurent l’avait fait. Il avait sauvé la reine. Mais pour combien de temps ? N’empêche, l'Oracle ne pensait pas qu’elle serait aussi sotte… S’approcher autant du bord de l’eau lorsqu’on ne sait pas nager, c’est quand même stupide. Et tout ça pour récupérer une fichue couronne… Comme si elle était obligée de se promener en permanence avec cette chose sur la tête. Comme si quelques diamants avaient autant de valeur qu’une vie humaine… S’il n’avait pas été là… Enfin, il espérait qu’à l’avenir, elle ferait un peu plus attention et accorderait davantage d’importance à sa vie. Il ne pouvait pas la suivre partout pour la repêcher…

En parlant de ça, c’était malin… Il avait dû plonger dans le lac pour ramener la couronne, sans quoi elle aurait été capable d’y retourner. Désormais, il était trempé… Le jeune homme avait pris des précautions pour qu’elle ignore que c’était lui qui l’avait sauvée, mais s’il ne se changeait pas très vite, il se serait donné tout ce mal pour rien. Laurent allait devoir regagner sa chambre en passant par les couloirs les moins fréquentés s’il ne voulait pas attirer l’attention. Il espérait pouvoir se changer rapidement et arriver à l’heure pour le petit-déjeuner. Ce sauvetage l’avait épuisé et il n’aurait pas d’autres occasions de manger avant le repas du midi. En plus, Océane risquait de remarquer son absence et de se poser des questions… Une reine aussi sotte, c’était bien sa veine.

Par chance, le jeune homme parvint à regagner sa chambre sans faire de rencontre. Il se changea rapidement et arriva pile avant la clôture du petit-déjeuner. L'Oracle prit place en face d’Océane, qui, si elle le trouva étrange, ne lui en fit pas la remarque.

Trois nouvelles semaines passèrent sans incident notoire. Mais Laurent était sur ses gardes ; il sentait qu’un nouvel accident ne manquerait pas de se produire. Depuis le sauvetage, il n’avait plus croisé une seule fois la reine autour du lac. Au moins, elle n’était pas suicidaire. Il ne lui restait plus qu’à attendre.

Une nuit, l'oracle refit un rêve prémonitoire, beaucoup plus précis cette fois que le précédent : la reine allait mourir le lendemain. Certaines briques du plafond allaient se décrocher et briser son crâne. Il n’y aurait pas d’autres blessés, mais après plusieurs heures en réanimation, Julia finirait par succomber. Il lui suffisait de prévenir la formatrice que sa salle nécessitait quelques travaux et lui proposer une autre salle pour la journée.

Dès l’heure du petit-déjeuner, Laurent en parla à la formatrice qui acquiesça : elle avait remarqué des fissures au plafond et approuvait donc son idée. Le jeune homme fut rassuré : il venait d’accorder un nouveau répit à la reine.

Hélas, tout ne se passa pas comme prévu, car la nouvelle salle était dans un pire état que la précédente. Ainsi, la reine manqua de se faire écraser lorsqu’Océane invoqua une protection qui la sauva d’une mort certaine.

Julia et Émilie regardèrent Océane comme si c’était la première fois qu’elles la voyaient vraiment. Laurent, lui, n’était pas étonné. Il savait qu’Océane ne laisserait jamais mourir quelqu’un, même si ça lui permettait d’obtenir un quelconque avantage. Et c’est justement ça qui aurait fait d’elle une si bonne reine.

L'oracle trouvait que Julia se portait relativement bien pour quelqu’un qui venait de frôler la mort par deux fois. Enfin, c’est ce qu’elle montrait aux autres, mais Laurent n’était pas dupe. Il voyait bien que son aura était de plus en plus grise, signe de dépression. Et il remarquait qu’elle était nerveuse : cette dernière avait commencé à se ronger les ongles (ce qui lui ressemblait tellement peu), elle se passait souvent la main dans les cheveux et ses membres étaient parcourus de spasmes. Laurent savait que cela ne ferait qu’empirer… Julia était condamnée et tout ce qu’il pouvait faire, c’était repousser l’inévitable.

Pendant un mois, l'Oracle fut tranquille : aucune vision, aucun mauvais rêve… Jusqu’au 14 février… Pour la Saint-Valentin, la reine devait se rendre au village de Lac pour célébrer la fête des amoureux avec le peuple. Et Laurent sut que la voiture qui l’y amènerait serait victime d’un accident de la route, à cause du verglas. La voiture allait déraper et percuter un arbre. Julia serait la seule blessée à ne pas se réveiller.

Le jeune homme devait agir rapidement ; il voulait rendre la route qu’ils allaient emprunter impraticable. Il y plaça de grosses pierres, des clous et des branches d’arbre. Il était épuisé et vit avec soulagement des hommes en jaune mettre en place une déviation obligatoire.

Laurent repartit se coucher : garder la reine en vie était plus exténuant qu’il ne l’aurait cru. Aussitôt dans ses draps, il s’endormit. Ce fut la sonnette d’alarme qui le réveilla en sursaut.

Julia

Julia ne savait même pas ce qu’elle faisait là, dans cette voiture, pour assister à une fête qui ne la concernerait sans doute plus jamais, pour un peuple qui ne l’aimait pas et ne souhaitait même pas sa présence.

Dans la voiture, tout le monde faisait comme si de rien n’était, mais le cœur n’y était pas ; tous savaient que cette sortie n’était qu’une mascarade. Et pour ne pas arranger les choses, la route qu’ils auraient dû emprunter était fermée ; ils devraient donc faire un détour. Le chemin était étroit, sinueux et plein de virages, or Julia avait tendance à être malade en voiture ; peut-être aurait-elle dû prévenir le chauffeur ou le propriétaire de la voiture...

Les minutes défilèrent et Julia se sentit de plus en plus mal. Elle peinait à maîtriser son mal au cœur et voyait le passager assis à côté d’elle devenir de plus en plus anxieux. Enfin, après un temps qui lui sembla interminable, le chauffeur les prévint qu’ils étaient presque arrivés. Ouf, ce n’était pas trop tôt.

La reine était presque contente de sortir de la voiture, même si elle allait maintenant devoir participer à la fête. La place principale avait été joliment décorée et elle se dit qu’elle aurait adoré y participer si elle n’avait été qu’une fille parmi tant d’autres. Mais ce n’était pas le cas, alors elle se contenta d’admirer la décoration en rouge et blanc, les confettis en forme de cœur, les lumières qui brillaient comme des diamants et d’écouter le concert joué par des groupes adulés du royaume. Ce qui contribua à la déprimer encore plus : le concert et la décoration auraient dû attirer un tas de monde, mais il n’en était rien. Une vingtaine de couples seulement avaient fait le déplacement et ils ne se préoccupaient pas le moins du monde de la reine. Quelques curieux, restés chez eux, jetaient de temps à autre un œil par la fenêtre.

Petite, Julia avait assisté à cette fête. La place était alors noire de monde et tous se battaient pour être le plus proche possible de la reine, pour l’apercevoir, recevoir un baiser imaginaire ou un signe de la main. Elle se rappelait avoir poussé les habitants pour se frayer une place au premier rang. Certains avaient été gentils et, considérant son âge et sa taille, l’avaient aidée à grappiller des places, alors que d’autres en revanche s’étaient battus pour rester à la leur. Mais au bout du compte, elle était parvenue tout devant et avait pu s’approcher à quelques mètres seulement de la reine. Cette dernière l’avait alors remarquée (enfin, c’était ce qu’elle s’était dit à l’époque) et lui avait envoyé un baiser. C’était juste avant que Julia ne reçoive sa bille magique. Elle chérissait ces deux souvenirs qui resteraient à jamais gravés dans son cœur. Tout ça pour ça… La jeune femme avait réalisé son rêve et il s’était transformé en un véritable cauchemar.

Au bout de plusieurs heures, le concert s’arrêta. Jamais ils n’avaient eu aussi peu de public. Julia regarda ses accompagnateurs qui étaient aussi mal à l’aise qu’elle. Enfin, le chauffeur reçut un message de Jules qui leur ordonnait de rentrer. Son humiliation avait bien assez duré. Ils reprirent la même route qu’à l’aller.

Julia était épuisée ; elle ne se sentait pas capable de refaire le même chemin. Elle ferma les yeux et s’endormit en pleurant (silencieusement, mais en pleurant tout de même). Elle ne se réveilla jamais.

Jules

Jules fut le premier à être averti ; un accident venait de se produire : alors que la reine était sur le chemin du retour, une voiture arrivant en face n’avait pas pu éviter une plaque de verglas et avait percuté le véhicule royal. Lui s’en était sorti sans dommage, ce qui n’avait pas été le cas des passagers du véhicule victime : ils avaient tous été plus ou moins gravement blessés. La reine semblait en plus mauvais état que les autres : elle était plongée dans le coma. Il se rendit à son chevet, mais s’aperçut vite que c’était trop tard. Julia rendit son dernier souffle devant ses yeux.

L’ancienne reine Julia

Voilà, elle était morte. Morte pour avoir réalisé son rêve. Morte parce que ça n’aurait jamais dû arriver. Et la prochaine reine connaîtrait le même destin tragique qu’elle.

Laurent

Dès qu’il entendit l’alarme, Laurent comprit : la reine venait de mourir. Le  jeune homme avait fait tout ce qu’il avait pu pour la sauver, mais qui était-il, lui, pour contrarier le destin ? L'Oracle était désolé pour elle. Et pour lui aussi : Océane était désormais la première dauphine.

Thomas

Le destin s’était accompli. La première reine illégitime était morte. La seconde ne tarderait pas à la suivre. Son frère allait devoir agir…

Émilie

Quelqu’un tira Émilie de son long sommeil… Quelqu’un qui lui ordonna de s’habiller, s’apprêter, se maquiller, d’enfiler des bijoux… Redevenir celle qu’elle était et non pas cette pâle copie qu’elle était devenue en tant que première dauphine.

La jeune femme s’exécuta sans se poser de question. Elle se parfuma et ajouta une touche finale à sa tenue. Désormais, elle était prête. Prête à affronter son destin. La personne lui intima de la suivre et la conduisit au réfectoire.

Lac [Terminée] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant