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Au sud-ouest du royaume se dressait Hope, une jolie ville au paysage très varié. Entourée de montagnes, de lacs et de rivières, son centre abritait la plus magnifique des forêts. C’est là qu’Océane passait l'essentiel de son temps libre.

Depuis toute petite, Océane avait toujours adoré cet endroit. Dès qu’elle avait été en âge de marcher et de parler, elle avait supplié ses parents et sa grande sœur de l’y conduire. La jeune fille aimait l’air pur, le silence et l’absence de foule. Ce n’était pas qu’elle était asociale, mais elle détestait l’hypocrisie et les faux semblants. Or, cette dernière voyait bien que derrière les sourires de façade des personnes qu’elle côtoyait se cachait une bien triste vérité : les gens jugeaient et mentaient en permanence.

La forêt de Hope regorgeait de trésors : des champignons, des animaux, des arbres rares et une multitude de plantes qui servaient à concocter des remèdes médicinaux. Il y avait toujours un peu de vent qui jouait avec ses cheveux et le chant des oiseaux la suivait partout.

Les années passèrent, mais Océane était restée la même : elle avait conservé son esprit libre, indépendant, son honnêteté et son courage. À l’âge de quatorze ans, c’est désormais seule qu’elle se baladait dans la forêt. La jeune fille la connaissait sans doute mieux que quiconque, mais à chaque fois qu’elle s’y rendait, celle-ci ne cessait de l’étonner. Elle avançait sans réfléchir, sans rien planifier et ses pas la menaient invariablement vers un endroit inconnu, un petit bout de paradis.

Un jour, alors qu'Océane marchait depuis des heures, elle jeta un coup d’œil à sa montre et sursauta… En retard, il fallait qu’elle se dépêche de rentrer chez elle !

Comme tous les mercredis, à quinze heures trente, ses parents, sa sœur et elle se rendaient au centre-ville pour assurer bénévolement la permanence sociale consistant à divertir les personnes âgées ou isolées, aider les personnes dans le besoin et s’occuper des blessés ou des animaux délaissés.

C’est essoufflée et suante qu’elle arriva à la maison. La nuit passée, Océane avait fait un cauchemar et si, au matin, elle ne se souvenait plus du contenu de son rêve, elle se rappelait en revanche que cela avait un lien avec la permanence. Toute la journée, la jeune fille avait eu un mauvais pressentiment :

– Maman, es-tu sûre que nous sommes obligés d’y aller aujourd’hui ? Nous y allons tous les mercredis, on pourrait louper de temps en temps…

– Non ma chérie, Anna et Brian ont déjà prévenu qu’ils ne pourraient pas venir. Allez, ça ne va pas durer longtemps.

Le ton pourtant très calme de sa mère était sans appel. Océane croisa le regard désapprobateur de sa sœur. Cette dernière était un modèle de gentillesse et de dévouement.

Ils s’engouffrèrent tous les quatre dans la voiture et, une fois arrivés à destination, le bénévolat se déroula de la manière la plus normale possible : Catherine, une grand-mère de quatre-vingts ans, l’avait embrassée sur la bouche, elle avait dû nettoyer le pipi de Lili, une chienne devenue incontinente un an plus tôt et avait été renversée par Némo, un jeune chien foufou qui avait maculé son T-shirt et son pantalon de boue. C’est avec un soupir de soulagement qu’elle entendit sa mère les prévenir qu’il était l’heure de rentrer.

Océane s’assit comme d’habitude à l’arrière, côté conducteur. Le chemin du retour, elle le connaissait par cœur : après une route en ligne droite pendant douze kilomètres environ, ils devaient aborder une série de virages : un premier assez étroit, un second en angle à cent-dix degrés, les trois suivants tournant à gauche et les trois derniers à droite.

Ils s’engagèrent dans le dernier virage pour regagner la ligne droite. C’est alors que l’accident se produisit. En une fraction de seconde, la voiture fut violemment projetée dans le fossé. Océane criait, criait, mais personne ne lui répondait. Un voile blanc recouvrit ses yeux. Elle se sentit fatiguée, si fatiguée… C’est ça, songea-t-elle, elle allait dormir et en se réveillant, elle serait chez elle, à table avec sa famille, savourant un bon chocolat au lait et des caramels au beurre salé.

Océane ferma les yeux un peu plus fort pour s’offrir au sommeil, mais des sons la gênèrent et elle les rouvrit. Un homme à la fenêtre lui expliquait manifestement quelque chose. Elle ne comprenait pas le sens de ses paroles, mais elle distingua tout de même les mots « appeler… secours ». Océane voulait que cet homme parte et la laisse tranquille, mais à la place, il lui demanda de tenter d’ouvrir sa portière. Avec le peu de forces qu’il lui restait, elle parvint seulement à baisser sa vitre. Il lui prit la main et la bombarda de questions : « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? », « Je ne sais pas », « Comment t’appelles-tu ? » « Océane », « Quel âge as-tu ? », « Quinze ans demain », « En quelle classe es-tu ? », « Seconde ».

Il continua de l’interroger, mais jamais sur sa famille. D’ailleurs où était cette dernière ? Que faisait-elle ? Pourquoi n’y avait-il qu’Océane qui parlait ? La jeune fille jeta un regard autour d’elle… Sa sœur était étendue à proximité. Quant à ses parents, l'adolescente n’en voyait pas grand-chose, mais d’après le peu qu’elle apercevait, ils dormaient dans une position bizarre, vraiment très bizarre…

Tout à coup, des sirènes retentirent : les secours étaient arrivés. Ils lui expliquèrent qu’ils allaient défoncer les portières pour les extraire de la carcasse du véhicule, mais qu’elle ne risquait plus rien. Ils lui reposèrent les mêmes questions que l’homme, une fois, deux fois, trois fois. Puis Océane se retrouva sans toit au-dessus de la tête. Un des pompiers lui enroula quelque chose autour du cou et la pria de bouger le moins possible. Il lui demanda où elle avait mal : « à la jambe » répondit-elle mécaniquement.

Peu à peu, la jeune fille retrouva une vision claire ; elle vit que les pompiers l’avaient recouverte d’une couverture dorée et qu’ils avaient fait de même avec sa sœur. Ils étaient en train de prendre les constantes de cette dernière, mais Marine ne se réveillait toujours pas. Ils expliquèrent à Océane qu’ils allaient transporter sa sœur par hélicoptère afin qu’elle soit soignée au plus vite. Elle demanda des nouvelles ses parents, mais personne ne lui répondit, tous évitant soigneusement de croiser son regard. L'adolescente ne les voyait plus ; ils étaient désormais entièrement recouverts par la couverture dorée.

Plusieurs pompiers s’occupèrent ensuite d’Océane et la conduisirent à l’hôpital le plus proche. Cette dernière n’avait que quelques blessures qui ne remettaient nullement en cause son pronostic vital : fractures ouvertes au tibia et au péroné et entorses à la cheville et au genou, le tout à la jambe gauche. Elle resta une semaine à l’hôpital puis ses grands-parents vinrent la chercher.

Océane le savait déjà : ses parents étaient morts. Sa sœur, elle, était toujours plongée dans le coma. Elle eut le sentiment que son existence venait de voler en éclat, et, avec la mort de ses parents (et probablement de sa sœur), elle avait l'impression qu'une partie d'elle-même avait disparu à tout jamais. La jeune fille sécha ses larmes et se promit de rester forte, pour ses grands-parents mais aussi parce que ses parents n'auraient pas voulu la voir sombrer dans le désespoir. Océane allait faire tout son possible pour les rendre fiers, car elle savait qu'ils veilleraient toujours sur elle.

Lac [Terminée] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant