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Le lendemain, Luka se réveilla avec une idée géniale : afin que tous puissent laisser un message à Océane et aient un endroit où se recueillir et où déposer des fleurs, Luka fit ériger une pierre tombale (verticale seulement et sans corps au-dessous). Chacun pourrait venir la décorer à sa guise et griffonner un mot dans le carnet accroché à la pierre. Luka y dessina un soleil parce que, pour elle, c'était ce que représentait Océane, Laurent y avait gravé un cœur, Marine, une couronne et Tom, un trèfle. Enfin, Luka y inscrivit un poème, le préféré d'Océane, mais aussi le sien. Celui-ci semblait tout à fait approprié à la situation, à cela près qu'Océane ne s'était pas « sacrifiée » par amour d'un homme, mais par amour de sa sœur et du royaume. La plupart y verraient un lien avec la soi-disant noyade d'Océane, mais Jules, Marine, Tom, Laurent et elle comprendraient.

Ophélie, d'Arthur Rimbaud

Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...
- On entend dans les bois lointains des hallalis.

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir.
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.


Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.

Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle ;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile :
Un chant mystérieux tombe des astres d'or.

II

Ô pâle Ophélia ! belle comme la neige !
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !
- C'est que les vents tombant des grands monts de Norvège
T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté ;

C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure,
À ton esprit rêveur portait d'étranges bruits ;
Que ton cœur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits ;

C'est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux ;
C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux !

Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
- Et l'Infini terrible effara ton œil bleu !

III

- Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis ;
Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.

Luka avait désormais l'esprit serein ; elle avait fait le maximum pour accompagner Océane dans la mort. Enfin, l'une des deux en tout cas. Elle espérait tant avoir des nouvelles de l'autre Océane, la vraie ! Petit à petit, elle décrypterait les pensées que cette dernière avait souhaité lui léguer. En attendant, la jeune femme était prête à endosser ses responsabilités, prête à embrasser son destin, prête à gouverner son royaume. Elle allait devenir la reine qu'Océane avait voulu qu'elle soit, une souveraine dont elle serait fière. C'est donc avec une immense joie, mais aussi avec une certaine gravité, que Luka accepta la couronne que Jules plaça sur sa tête.

Lac [Terminée] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant