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Le dimanche soir, Laurent répondit au message d'Océane : il lui donna rendez-vous le samedi suivant, à huit heures du matin et la pria de venir en tenue de sport. L'adolescente réfléchit, intriguée : la mission nécessitait-elle de courir, de combattre ? Elle résista toutefois à l'envie de lui en demander la raison : elle savait pertinemment qu'il ne lui dévoilerait rien de toute façon. À la place, la jeune fille partit se coucher ; elle avait cours le lendemain.

Océane avait réalisé de nets progrès dans la plupart des matières, notamment en magie. Les sortilèges enseignés lors de la formation de reine étaient relativement basiques, même s'ils étaient utiles et efficaces. Mais l'adolescente, qui était extrêmement douée, s'ennuyait un peu alors elle testait des enchantements issus du grimoire de sa grand-mère que Marine lui avait remis. Elle ajoutait d'ailleurs souvent des fioritures : une petite formule par-ci, un petit rituel par-là... Cela rendait le sort beaucoup plus impressionnant qu'il ne l'était en réalité.

La prétendante s'était rendu compte que la magie l'aidait en création ; elle lui permettait de travailler plus rapidement et de déjouer les lois de la nature, de la physique et de la mécanique. Ainsi, l'adolescente parvenait à faire voler des objets qui n'auraient jamais dû pouvoir le faire. Cela lui avait valu une belle notoriété auprès de ses formateurs, mais aussi des élèves en créativité. Certaines personnes lui passaient même commande !

Le samedi arriva vite, bien plus qu'elle ne l'aurait imaginé. Elle était en train de consulter sa montre près du lac lorsque Laurent surgit derrière elle. Elle allait enfin savoir de quoi il en retournait. Il continua un moment à laisser planer le mystère puis finit par lui avouer qu'il l'avait vue courir et qu'il avait trouvé sa technique mauvaise. Le jeune homme avait alors décidé de lui apprendre les bases. Il commença par lui concocter un petit échauffement (mobilisation des articulations, pas chassés, montées de genoux, talons-fesses, puis petit tour à faible allure). Ensuite, ce dernier lui donna des conseils :

- Déjà, n'attaque pas la course par le talon, mais par la pointe, sinon tu vas te blesser. D'autre part, sers-toi de tes bras pour t'aider à avancer. Tu es bien trop raide, tu vas te bloquer les épaules et le dos. Je ne te dis pas de te relâcher entièrement - il faut quand même que tu gardes une position dynamique et gainée -, mais il faut que tu trouves le juste milieu.

- Cela a l'air très facile comme ça, mais ça ne l'est pas. Je dois déjà me concentrer pour respirer normalement et ne pas tomber. Mettre un pied devant l'autre, c'est dans mes cordes, mais il ne faut pas non plus trop m'en demander !

- Une chose après l'autre. Attaque déjà par la pointe. Quand tu auras bien intégré cela, on essaiera de revoir ta posture et enfin, on reparlera de l'élancement des bras.

- D'accord chef...

- On va d'abord faire un tour tranquille. Concentre-toi bien. Ce n'est pas bien difficile, il suffit d'y penser.

Ils partirent pour un tour et Océane fit tout son possible pour se conformer aux instructions. Elle y parvenait, mais dès qu'elle relâchait la pression, elle recommençait à courir comme avant. Laurent, qui la surveillait, la rappelait alors immédiatement à l'ordre. Ils refirent un autre tour puis un troisième et un quatrième. Pour le cinquième tour, le jeune homme lui proposa un deal : soit l'adolescente faisait le tour uniquement en attaquant par la pointe, soit elle recommençait jusqu'à ce qu'elle y parvienne. Océane était épuisée : cela faisait plus d'une heure qu'elle courait et elle en avait franchement assez ; elle donna son accord pour un cinquième tour uniquement. Et enfin, la jeune fille réussit. Elle était fière d'elle et surtout contente que ça se termine.

- Bravo. La semaine prochaine, nous travaillerons la posture. Mais ne considère pas ça comme acquis ; tu devras encore t'entraîner pour que ça devienne un automatisme.

Une fois sa séance terminée, Océane retira ses affaires de sport, dévoilant son maillot de bain. Elle se mouilla la nuque, puis plongea dans le lac. Elle nagea tranquillement puis regarda Laurent, resté sur le bord :

- Elle est bonne. Tu peux venir.

- Sans façon. Et puis, je n'ai pas prévu de maillot, moi.

- Tu peux toujours en enfiler un.

C'était tentant. Il avait chaud et l'eau du lac semblait juste à la bonne température. Mais il avait honte de l'avouer : il nageait vraiment mal.

- Ça va aller. Tu me rejoindras plus tard.

Océane avait subitement adopté un air taquin :

- Tu ne vas pas me dire que tu ne sais pas nager...

Laurent répliqua, blessé dans son amour propre :

- Bien sûr que si, je sais nager. Mais je n'ai pas eu l'occasion de pratiquer la natation depuis un bon bout de temps.

En réalité, la dernière fois qu'il avait nagé, il était encore petit (au tout début de l'adolescence, vers l'âge de onze ans plus précisément). Il avait fugué pour aller au bord de l'océan. Il avait tant entendu parler de cet endroit qu'il pouvait parfaitement se le représenter, alors même qu'il ne s'y était jamais rendu. Pour son père, c'était « le devoir avant tout » et l'éventualité de faire quelque chose pour lui, de voir un paysage unique et merveilleux lui était inenvisageable. Alors un jour, après une énième dispute, une énième rébellion, il avait décidé de réaliser son rêve : contempler l'océan. Rien que la beauté du paysage lui coupa le souffle, mais pourtant, ce jour-là, voir ne lui suffit pas : ce dernier voulait se fondre dans l'océan.

Les vagues étaient violentes et le vent soufflait fort. La marée était basse et Laurent dut marcher sur la plage plusieurs dizaines de mètres pour enfin toucher l'eau. Il n'y avait personne, ni sur la plage ni dans l'eau. Ce n'était pas un temps propice pour une ballade et encore moins pour une baignade. Mais l'appel de l'écume fut le plus fort et Laurent ne parvint pas à y résister. Manquant de pratique, ce n'était pas un excellent nageur, surtout que l'eau de la piscine n'avait rien à voir avec l'eau déchaînée de l'océan. L'adolescent fut bientôt emporté loin du rivage. Il avait beau tenter de se rapprocher du bord, il avait l'impression d'être emporté toujours plus loin. Il cessa de résister et se laissa porter par les vagues pour conserver ses forces. Et puis, au bout d'un temps qui lui sembla une éternité, l'océan retrouva son calme.

Laurent était épuisé, mais il reprit sa nage vers le rivage. Il était presque arrivé lorsque ses bras et ses jambes cessèrent de fonctionner, son corps sombrant lentement dans les Ténèbres. Soudain, l'Oracle sentit des bras l'attraper fermement et le hisser vers la plage. Il ouvrit les yeux, toussa et recracha l'eau qui avait submergé ses poumons. Son éducateur l'avait retrouvé et sauvé. Ce dernier ne le gronda même pas, se contentant de le ramener à la maison. Depuis ce jour, il n'avait plus mis les pieds dans l'eau.

- C'est comme le vélo, ça ne s'oublie pas. Tu sais faire du vélo, n'est-ce pas ?

- Bien sûr, comme tout le monde. Mais c'est la fille qui ne sait pas courir correctement qui se moque de moi ?

- Je ne me moque pas. Mais tu sais, je suis une bonne prof, du moins en ce qui concerne la natation. Alors, si tu veux, ça peut être donnant-donnant : tu m'apprends à bien courir et moi à bien nager.

Laurent songea que ce serait plus facile de lui apprendre à courir : elle n'avait pas subi de traumatisme. Lorsqu'il voyait de l'eau, il se rappelait pour sa part des ténèbres qui le recouvraient, la morsure de l'eau glacée pénétrant ses poumons, l'asphyxie et la perte d'espoir qui l'avait submergé.

- On verra peut-être cela une prochaine fois. Profite bien et rejoins-moi après. Je serai dans ma chambre. Viens dans une tenue pratique, mais habillée.

- Pourquoi, où irons-nous ?

- Tu verras plus tard. Ne sois pas toujours aussi pressée. À tout' !

Puis il la planta là, la laissant nager. Seule. Ça faisait un moment qu'elle n'avait pas nagé en eau libre : c'était beaucoup plus sympa que nager en piscine. L'eau du lac était claire et pure et Océane pouvait même voir des petits poissons nager sous elle. La jeune fille fit un peu de brasse, du crawl puis flotta quelques minutes, étendue à la surface de l'eau. Après un moment, elle sortit et s'enveloppa de la serviette qu'elle avait mise dans son sac, planqué derrière un arbre. L'adolescente se sécha puis rentra au château prendre une douche et s'habiller. Elle choisit un jean, un débardeur et une paire de chaussures de ville (pratique, confortable et plus ou moins habillée) et partit rejoindre Laurent.

Lac [Terminée] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant