Je devais reconnaître que je ne m'attendais pas à ça. Elle m'avait totalement pris de court et était parvenue à me mettre en difficulté devant tous mes étudiants. Il fallait dire qu'elle avait méticuleusement préparé son coup et qu'elle avait fait preuve de beaucoup de talent et de sang froid au moment de mettre son plan à exécution. Il en fallait, du talent et du sang froid, pour se risquer à m'affronter comme elle l'avait fait.
Je m'apprêtais à aborder l'épineuse et au combien importante question de la sanction des délais en procédure pénale quand j'avais soudain dû m'interrompre à cause de bavardages incessants venant de quelque part dans l'amphithéâtre. La règle première que j'avais énoncée, à savoir se taire quand je parle, venait d'être violée et je n'allais pas laisser passer ça. Alors je sondai chacun de mes étudiants du regard en quête du responsable. Je remontai les rangs encore et encore et je pus finalement l'identifier. Tout en haut à droite.
Prise en flagrant délit. Maelie Aurano, visiblement pas gênée le moins du monde que tous ses camarades et moi-même ayons nos yeux rivés sur elle, débitait à flot ininterrompu des paroles dont je ne pouvais déceler le sens exact mais dont je devinais qu'elles n'avaient rien à voir avec le contenu de mon cours. Son amie, à qui elle livrait ce récit qui avait l'air de la passionner tant elle parlait avec entrain, tentait de lui signifier qu'elle était au centre de toutes les attentions pour qu'elle renoue enfin avec le silence. Mais elle semblait inarrêtable.
Même si j'aimais beaucoup (trop) Maelie Aurano, je me devais de la recadrer. Il en allait de mon autorité. Et puis ce manque de respect manifeste avait le don de m'échauder au plus haut point. Je ne prendrai pas de pincettes avec elle.
Je lançai la première salve dans un rugissement qui fit se figer de terreur toute la salle :
_ Dîtes, on ne vous dérange pas j'espère.
Elle se tut et jeta sur moi un regard sombre. Résolu à battre le fer pendant qu'il était chaud, je poursuivis :
_ Votre petit discours m'avait l'air des plus intéressants. Je suppose qu'il est en lien avec la procédure pénale.
Elle n'esquissa pas l'ombre d'une réaction, me défiant toujours du regard.
J'enfonçai le clou, d'un ton encore plus ferme et plus menaçant :
_ Vous devez avoir une maîtrise parfaite de la purge des vices de la procédure d'instruction en matière criminelle pour vous permettre d'être si distraite. Vous pouvez peut-être faire bénéficier vos camarades de votre science juridique ?
C'était une question purement réthorique alors j'enchainai, toujours aussi sûr de mon fait :
_ Vous ne le pouvez pas alors...
_ Si. Je le peux, me coupa-t-elle avec un aplomb qui surprit tout le monde y compris moi.
_ Vraiment ? dis-je, n'en croyant pas un traître mot.
_Absolument, renchérit-elle sans laisser transparaître le moindre doute.
Je ne savais pas à quoi elle jouait au juste mais j'étais persuadé que son petit numéro la mènerait droit dans le mur. Je décidai donc de la laisser faire.
_ Bien. Dans ce cas, je vous en prie.
Elle déploya une mise en scène qu'elle avait parfaitement orchestrée. Comme pour devancer toutes les objections que je pourrais formuler sur le bien-fondé de ses connaissances et pour m'assurer qu'internet ne viendrait pas à son secours, elle commença par rabattre l'écran de son ordinateur contre le clavier. Puis, elle se leva et demeura ainsi, immobile et silencieuse, plusieurs secondes au cours desquelles elle ne me lâcha pas des yeux. Tandis que l'amphithéâtre tout entier lui consacrait à présent sa pleine attention, elle se lança dans sa démonstration d'une voix posée :
_ La purge des vices de la procédure d'instruction en matière criminelle s'entend du fait que la décision de mise en accusion définitive devant la cour d'assises a pour effet de couvrir tous les vices d'instruction s'il en existe. Pour être très précise, c'est l'article 181 alinéa 4 du Code de procédure pénale qui en dispose.
Il était évident qu'elle avait travaillé la question. Et je ne pouvais pas perdre la face sans opposer de résistance alors je tentai de la déstabiliser avec une question. Mais rien n'y fit. Elle y répondit en faisant preuve d'une insolente maîtrise. Elle était vraiment douée.
_ Que se passerait-il dans ce cas si, devant la cour d'assises, une partie soulevait une exception en nullité pour défaut d'impartialité d'un enquêteur pendant l'enquête préliminaire ?
_ Cette exception serait tout simplement déclarée irrecevable.
Soit. Elle disait juste et je ne pouvais pas valablement la contredire. Pour le coup et même si j'avais en horreur de devoir dire ça, elle avait gagné cette manche, le tout en faisant preuve d'une remarquable intelligence qui en ajoutait encore davantage à son charme. Je pensais, ou plus exactement j'espérais, qu'elle en avait terminé mais elle continua. Alors je compris enfin pourquoi elle se donnait ainsi en spectacle.
_ A mon tour de vous poser une question, Monsieur Mavri.
J'aurais pu m'y opposer mais je ne l'avais pas fait. Sans doute avais-je failli par curiosité mais je voulais connaître le dénouement de sa performance.
_ Faites donc. Puisque vous êtes lancée.
Elle s'exécuta aussitôt :
_ Pouvez-vous me dire comme se fait-il que vous ayez refusé de diriger mon mémoire ? Et je veux la vraie raison.
Nous y voilà. C'était donc ça l'explication.
_ Je vous ai donnée la vraie raison, objectai-je, sans y croire moi-même.
_ Arrêtez un peu. Je sais pertinemment que le sujet que j'ai demandé n'est pas déjà pris. Il y a assez peu de vocations pour le droit pénal dans cette faculté vous savez.
_ Détrompez-vous. Le sujet en question est déjà pris, prétendis-je encore.
_ Vraiment ? Bien, alors vérifions ça tout de suite.
Elle se détacha de moi un instant pour s'adresser à ses camarades :
_ Qui donc ici a choisi de rédiger un mémoire sur la dépendance du ministère public ?
Évidemment et comme elle l'avait deviné, personne ne se manifesta. Elle me jeta un regard tout bonnement triomphal et je dus m'incliner devant sa perspicacité.
Elle s'en sortait bien. C'était certain. Pour autant, elle n'échapperait pas à une petite mise au point. Je lui dis finalement pour clôturer l'incident :
_ Vous viendrez me voir à la fin du cours.
Bonsoir à tous !
Juste un mot pour vous dire que, les vacances de Noël se terminant aujourd'hui, je passe à une fréquence de publication de quatre fois par semaine.
A partir de la semaine qui vient et les semaines suivantes, je publierai donc tous les mardis, jeudis, samedis et dimanches.
Je tiens enfin à vous remercier pour vos lectures, pour vos votes et pour vos commentaires. C'est un réel plaisir et c'est très motivant pour moi durant l'écriture :)
Encore merci à tous !
gouttedencre
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Love and Justice
RomanceQue seriez-vous prêt à sacrifier par amour ? Votre travail ? Votre ambition ? Votre honneur ? Vos fiançailles ? Votre famille ? Et a-t-on le droit d'aimer n'importe qui ? Jusqu'où Alex Mavri, jeune professeur en droit privé et spécialiste du droit...