Chapitre 87 (Alex)

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« Je ne me scarifiais pas. J'ai été mutilé durant presque toute mon enfance par un monstre, un monstre de mon propre sang.

Mon père n'était pas un type bien. Il était même tout le contraire. C'était un homme violent, infidèle et un alcoolique notoire ce qui n'aidait pas. Chaque soir ou presque, quand il rentrait du travail, il frappait ma mère, plus ou moins fort, plus ou moins longtemps, ça dépendait de son humeur. Malheureusement, son humeur était souvent mauvaise et il avait plutôt tendance à frapper fort et longtemps. Comme il n'avait d'égal que sa cruauté, il m'obligeait à m'asseoir sur une chaise et à regarder ma mère hurler de douleur, parfois pendant des heures. J'avais cinq ans à peine la première fois.

Au début, peut-être parce-que j'étais trop petit, je ne disais rien, me contentant de pleurer à chaudes larmes devant cet horrible spectacle. Et puis, en grandissant, je me suis mis à vouloir défendre ma mère. Alors, entre deux coups qu'il lui portait, il m'arrivait de le supplier de la laisser tranquille. Il ne supportait pas que j'intervienne, il me giflait chaque fois que je le faisais, quand ce n'était pas carrément son poing qu'il envoyait dans ma figure. Ma mère m'avait demandé plusieurs fois de ne rien dire. Elle avait peur qu'il s'en prenne à moi. Elle disait que le fait de me voir battu à mon tour lui était plus douloureux encore que de recevoir elle-même des coups. Seulement, je ne pouvais pas rester là, sans rien faire, à le laisser la torturer. J'ai donc continué à m'opposer à lui et j'ai fini par devenir moi aussi sa victime.

Lorsqu'il considérait que j'avais fait une bêtise, il avait pris l'habitude de me lacérer la peau avec un cutter qu'il gardait toujours sur lui. Et, comme tu peux le voir au nombre de cicatrices qui recouvrent mon corps, il trouvait que je faisais beaucoup de bêtises. Ce n'était pas la seule punition qu'il me réservait. Il lui arrivait aussi de remplir la baignoire d'eau froide, d'y ajouter encore des glaçons, et de m'y laisser pendant des dizaines et des dizaines de minutes, prenant un plaisir fou à me voir grelotter ; ou encore de me priver de nourriture et de me garder enfermé toute la journée dans un placard.

Cet enfer a duré des années et puis, un jour, j'ai pris la décision de faire que ça s'arrête. Il fallait que ça s'arrête, je ne pouvais plus vivre ça, je ne pouvais plus endurer ces sévices, je ne pouvais plus voir ma mère souffrir à cause de lui.

Il devait être à peu près midi, nous étions sur le point de déjeuner quand mon père a surpris ma mère en conversation téléphonique avec quelqu'un dans la salle de bain. Il est aussitôt entré dans une colère noire. Persuadé qu'elle avait un amant et que c'était à lui qu'elle téléphonait, il l'a attrapée par les cheveux pour la trainer de force jusque dans le séjour. Alerté par ses cris d'effroi, j'ai quitté ma chambre pour lui porter secours et je l'ai trouvée à genoux, le visage en sang après que mon père lui ait cogné la tête à plusieurs reprises contre l'angle de la table basse qui se trouvait tout près. Ensuite, et alors qu'elle était déjà sonnée, il l'a rouée de coups au sol. Pendant plusieurs secondes, elle a d'abord hurlé et, peu à peu, ses hurlements sont devenus des gémissements. J'ai compris que si je ne faisais rien, il allait la tuer. Alors, pris de panique, je me suis dirigé dans la cuisine pour y prendre un couteau et je suis retourné dans le salon. Là, je me suis précipité vers mon père et, n'écoutant plus que la haine que je lui témoignais, je lui ai enfoncé le couteau dans le dos. Il a poussé un rugissement, s'est retourné pour me faire face et m'a jeté un regard rempli de fureur juste avant de s'effondrer et de gésir sur le sol, inanimé.

Je venais de tuer mon père. En en prenant conscience, je me suis mis à tremblé de terreur. Alors, ma mère a puisé dans les forces qui lui restait pour se hisser jusqu'à moi et me prendre dans les bras. Pour me calmer, elle m'a murmuré à l'oreille que tout irait bien, que ça n'était pas ma faute et que je venais de lui sauver la vie. Elle m'a expliqué qu'elle allait appeler la police et que, quand elle serait là et qu'elle m'interrogerait, je devrais dire que je n'ai rien vu car j'étais en train de jouer dans ma chambre. J'ai fait ce qu'elle m'a dit.

Quelque temps après, ma mère a été inculpée pour le meurtre de mon père. Plus tard, je comprendrai qu'elle s'est accusée à ma place pour me protéger. Elle a été placée en détention provisoire dans l'attente de son procès. Un procès qu'elle n'a pas supporté. Au matin du deuxième jour de celui-ci, elle a été retrouvée morte dans sa cellule. Elle s'était pendue avec ses draps, ne laissant qu'un simple bout de papier sur lequel était écrit « Mon petit Alex, j'espère qu'un jour tu me pardonneras. Je t'aime. ». Ses funérailles ont eu lieu la semaine suivante. J'y ai pleuré toutes les larmes de mon corps et fustiger le sort de m'avoir fait orphelin si jeune. Je me sentais aussi écrasé par le poids de la culpabilité. Ma mère avait payé pour moi et je songeais que, d'une certaine manière, j'étais responsable de sa mort.

J'ai d'abord essayé d'oublier et puis, comme c'était impossible, j'ai nourri l'obsession de comprendre. Une obsession qui n'a fait que grandir à mesure que les années ont passé. Je voulais savoir pourquoi mon père nous avait fait subir toutes ces horreurs à ma mère et à moi. Mais la vérité c'est qu'encore aujourd'hui je n'en sais rien.

Ma mère était doublement victime dans cette histoire. Victime des coups de son mari et victime du système judiciaire qui, plutôt que de l'aider, avait fini de l'anéantir. Je ne me suis jamais vraiment remis de cet épisode tragique de ma vie. Peut-on seulement se remettre d'une chose pareille ? Et j'en ai gardé un profond sentiment d'injustice que j'ai tenté de combler en étudiant le droit. C'est pour chercher le pourquoi de ce calvaire que j'ai envisagé une carrière d'universitaire, mais je ne me fais plus guère d'illusions sur le fait que je n'aurai jamais de réponse à mes questions. Aucun manuel n'a de réponse à cela. »

Une fois ma confession achevée, je demeurai de longues secondes interdit, guettant avec inquiétude les moindres faits et gestes de Maelie, suspendu à ses lèvres et attendant impatiemment qu'elle daigne me répondre. Qu'allait-elle faire ? Me demander de ficher le camp de chez elle, appeler la police car après tout je venais de lui avouer avoir tué un homme, ou me pardonner ? Je n'en avais aucune idée. Bien sûr, je craignais de la perdre mais je me sentais aussi soulagé de m'être ainsi mis à nu. Pour la première fois de ma vie, j'étais un homme qui n'avait plus rien à cacher. Désormais, Maelie savait tout de moi, de mon histoire, et des démons qui me consumaient. C'était à elle de se demander si elle était encore capable de m'aimer, malgré tout.

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