Love and Justice

Chapitre 18 (Maelie)

Tranquillement adossé contre sa porte d'entrée, les bras croisés et le visage parfaitement impassible, Alex Mavri venait d'interpeller le monstre. Ce dernier, de plus en plus agacé, tourna la tête dans sa direction pour aussitôt le questionner vigoureusement sans lui faire la moindre politesse :

_ Qu'est-ce que tu as dit là ?

Habité d'un calme olympien, l'intéressé se répéta :

_ J'ai dit que, si j'étais à votre place, je ferais les réparations que réclame cette jeune femme.

_ De quoi je me mêle ? Et, dis, tu n'es pas en train de me menacer là ?

Cette fois Alex Mavri laissa échapper un sourire avant de répondre :

_ Je ne vous menace pas. Je vous renseigne.

_ Non mais je rêve. Tu me renseignes. Pour qui tu te prends ?

Le monstre se détourna de moi pour se diriger vers celui qui semblait être devenu sa nouvelle proie. Il s'avança jusqu'à se tenir tout près d'Alex Mavri qui ne broncha pas. Loin de se dégonfler, celui-ci décida au contraire de renchérir avec un air supérieur qui en disait long sur le fait que la tentative d'intimidation dont il faisait l'objet n'avait strictement aucun effet sur lui :

_ Je vais vous expliquer un truc. Nous sommes, en France, dans un Etat de droit. Jusque-là vous me suivez ? Bien. Dans notre pays, il y a des lois que tout un chacun, y compris vous, doit respecter. En tant que bailleur, vous êtes ainsi tenu de ce que l'on appelle une obligation d'entretien du logement et également d'assurer la jouissance paisible des lieux par le locataire. Or vous conviendrez que se doucher à l'eau froide tous les jours parce-que le ballon d'eau chaude dysfonctionne n'a rien de très agréable.

Je croyais rêver. Alex Mavri était littéralement en train de donner la leçon à Monso. C'était un ravissement pour les yeux et une douce mélodie à ouïr pour les oreilles. Le monstre, déjà à moitié apathique, tenta bien de l'interrompre, bredouillant quelques mots incompréhensibles. Mais Alex Mavri prit grand soin de les ignorer et poursuivit sur sa lancée, allant même de plus belle :

_ Venons-en à ce qui visiblement vous intéresse le plus : l'argent. Lorsqu'une règle de notre État de droit est bafouée, il y a des sanctions. Vous êtes bien d'accord ? Bien sûr que vous l'êtes. Dans votre cas, voilà ce que peut faire cette jeune femme pour vous sanctionner de ne pas réparer son ballon d'eau chaude. Elle peut d'abord séquestrer les loyers. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu'elle va payer ses loyers mais pas à vous. Elle va les verser à la Caisse des dépôts et consignations. La suite est amusante. Vous ne pourrez pas récupérer ces loyers tant que vous n'aurez pas fait les réparations. Et ce n'est pas tout. Vous devrez aussi payer les frais de séquestre. En clair, le ballon d'eau chaude va vous coûter bien plus cher qu'il ne devrait. Enfin, si vraiment vous êtes buté et ne voulez toujours pas vous acquitter de vos obligations légales, votre locataire pourra commencer elle-même les réparations à vos frais.

Il paracheva sa savante démonstration d'un trait d'ironie dont je supposais sans risque de me tromper qu'il resterait longtemps en travers de la gorge de mon bailleur :

_ C'est merveilleux, vous ne trouvez pas ? Dans quel beau pays nous vivons !

Après avoir consacré un bref instant à fixer Alex Mavri du regard, comme pour jauger de sa crédibilité, le monstre se flanqua d'une ultime riposte :

_ Qu'est-ce qui me dit que ce que tu racontes n'est pas un ramassis de conneries que tu viens tout juste d'inventer ?

_ Mon identité peut-être, répondit-il presque du tac au tac.

_ Et donc tu es ?

_ Alex Mavri, maître de conférence et docteur en droit privé, spécialiste du droit pénal. Autant vous dire que je connais la loi sur le bout des doigts. Mais, si ça ne vous suffit pas, je peux aussi vous présenter mon CV ?

Cette fois, le monstre n'eut pas le coeur à continuer le combat. Conscient qu'il venait de tomber sur (beaucoup) plus fort que lui, il marmonna simplement à mon attention :

_ Je missionnerai une entreprise dès demain pour qu'elle vienne accomplir les réparations que vous me réclamez.

Puis il déguerpit, me laissant seule avec mon sauveur.